ou les aventures déconfinées d’un grand-père et de sa petite-fille
– Je serais une princesse endormie… euh non, je serais morte !
– Morte et endormie ?
– Non, juste morte…
Ces derniers temps, ma petite-fille de bientôt 4 ans adore jouer les princesses endormies profondément. Pas que, bien sûr. L’instant d’après, c’est à son tour de partir à l’aventure et de combattre des ogres pour aller réveiller des princes charmants. Elle est aussi Zorro depuis peu. Elle a trouvé un masque (avec un z dessus) dans mes caisses à « fourbis » pleine de « trucs » et de « muches ». Elle m’a demandé si Zorro était gentil. Je lui ai confirmé que oui et pour preuve nous avons regardé le générique du feuilleton des années 1950 avec la chanson « renard rusé qui surgiiit… Zorro zorro zorro. »
– C’est pas un renard, Zorro !
– C’est une comparaison ! Une métaphore ! Zorro est agile comme un renard.
– Ah !
Le soir tombant et la fraîcheur venant :
– Lou, met ta polaire !
– Mais Zorro n’a pas de polaire !
– Ça lui arrive, quand l’hiver est sévère !
– D’accord, dit-elle en enfilant sa veste.
Le surlendemain à table :
– Zorro mange des légumes ? Demande-t-elle.
– Mais bien sûr ! Dis-je spontanément.
Quelques bouchées plus tard, je finis par préciser :
– Pour de vrai, je ne sais pas précisément ce que mange Zorro mais je suppose qu’il doit manger équilibré pour être si agile ! Il doit au moins goûter de tout !
Là, il y a un léger conflit entre éthique et diététique. Fiction, mensonge, vérité, réalité et imaginaire… Tout ça se mêle, se tisse… Je suis résolument convaincu qu’il faut dire la vérité aux enfants (et aux adultes) mais je m’astreins à quelques ponctuels arrangements avec la vérité pour ne pas tomber dans un radicalisme obtus. Je ne suis pas le seul ces derniers temps… Et puis ici, on est encore dans le jeu et l’on sait tous les deux que la vérité des personnages de fiction est mouvante et adaptable… D’ailleurs après deux cuillères de ratatouille, elle s’arrête sans se poser la question de l’appétit de Zorro.
Concernant Zorro, j’évoquais l’autre jour avec une amie qui avait été elle aussi « le cavalier qui surgit de la nuit » quand elle était petite, si ça ne lui avait posé problème, en tant que fille, de s’identifier à un héros masculin. Non, elle n’avait pas le souvenir de s’être posé la question. Elle avait été Zorro, un point c’est tout ! Cela c’est d’abord confirmé avec Lou – elle était Zorro sans aucun doute – puis le jeu a un peu évolué. Comme nous galopions dans le jardin, je lui ai demandé qui on était. « On est Zorro » me répond-t-elle, deux Zorro et mamie, c’est… Zorrette ! Plus tard, Lou est devenue l’amie de Zorro, et Zorro, c’était moi. Mais attention, pas la belle amie qu’on sauve ! La vive amie qui galope devant !
J’ai d’abord pensé à un retour à la convention du genre mais je me suis également souvenu qu’enfant, j’étais plus l’ami de Tintin, que Tintin lui même ! Ce qui me permettait sans doute de ne pas renier ma propre histoire tout en rentrant dans les aventures des autres, rester moi-même en étant « ailleurs », valoriser mon propre récit personnel en m’aidant des histoires imaginaires.
Coté galop, on s’y connaît ! Quand ma petite fille est triste, je prends mon cheval orange (il orange tout) et alors elle saute sur son cheval bleu et on galope dans le jardin. Parfois, son cheval est fatigué. Il fait une pause, il souffle et moi aussi.
– Comment va ton genou ? me demande Lou. Et puis on repart.
Elle a besoin de quelqu’un pour sauver sa sœur qui est prisonnière dans un château. Faut être deux pour une telle aventure. Trois tours de jardin à vive allure en sautant des précipices et des épisodes. Alors que l’on pensait libérer sa sœur Anne et son frère – elle avait un frère depuis le deuxième tour de jardin – dans le bungalow et que l’on avait déjà dégainé les chansons magiques qui apprivoisent les gros méchants… Personne ! Ils doivent être dans le donjon de la maison ! On y va.
Je descends de cheval juste avant de passer devant mon épouse et mon fils.
– Prend-le par le mors dit Lou !
– Comment ?
– Par la ficelle… corrige-t-elle adaptant son vocabulaire.
Elle me laisse les chevaux, se saisit d’une poupée qu’elle doit soigner et grimpe à l’étage. Quant à moi, je retrouve la compagnie des adultes, me joins à une conversation sérieuse, le cheval orange et le cheval bleu cachés dans mon dos.
Ma petite fille est l’amie de Zorro. Ma petite fille s’appelle aussi Elsa ou Anna et peut vous transformer en statut de glace. Ça, c’est un écho de Walt Disney, La reine des neiges, en français qui serait la traduction de « frozen », le titre américain. Je suis allé voir. Ça n’a rien à voir avec le conte d’Andersen que je connaissais, enfin presque : il y a une reine des neiges en commun, quelques thèmes repris mais c’est une autre histoire, nouvelle. Les contes, pour les studios Walt Disney, c’est un peu comme mes boites à fourbis pleine de vieux trucs, ils piochent dedans et ajoutant leurs idées neuves, au goût du jour, ils inventent autre chose et souvent ça tombe juste, il faut le reconnaître mais c’est agaçant pour un conteur : les contes ne sont pas un fatras où l’on n’aurait qu’à piller, tout de même ! Enfin, je me suis dis qu’il valait mieux jouer avec plutôt que de ronchonner amer. Puisque cette histoire de Walt Disney était maintenant inévitable, incontournable, autant se l’approprier et la mêler à d’autres. Rêver librement ne dépendrait-il pas de la multiplicité des sources et des récits que l’on entend ? Manger un peu de tout… comme Zorro ?
C’est pour cela qu’elle est fille de pirate dans les aventures inventées du soir (la suite d’une histoire que je racontais à son père quand il était enfant) et également fille d’une aventurière.
C’est pour cela qu’il y a chez moi, le coin des livres avec Georges la mauviette, Martine et les 4 saisons, Sur les genoux de maman, Heidi, Barbe bleu, Peter pan, Pinnochio, une collection de « Chaperon rouge », la grosse faim de p’tit bonhomme, le géant de Zeralda, Chut !, la maison de Léonie, etc. À lire seul ou en compagnie.
C’est aussi pour cela que l’on fait de belles promenades à écouter la nature et admirer les paysages… pour faire des provisions et nourrir les rêves et le bien-être.
• Guy Prunier
Auteur & conteur d’histoires
Références des albums cités
Compagnie RAYMOND et Merveilles
5, rue Monge
69100 Villeurbanne
www.raymond-et-merveilles.fr
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