Toile d’éveil, Angers

Toile(s) d’éveil : un singulier / pluriel pour une association exigeante et engagée au sein du quartier Monplaisir au nord d’Angers.  

Trois petites salles pour accueillir un bouillonnement perpétuel d’idées, de recherches au service de l’enfance et des enjeux socioculturels qui y sont liés. L’enthousiasme suscité après une formation d’Enfance et Musique (parents et professionnels de crèche) se concrétise en 1999 par la réalisation d’un CD, Tom Pouce et Ribambelle qui éveille des appétits. L’acte fondateur de Toile d’éveil se forge là, avec le désir de continuer l’aventure, il devient une référence historique encore revendiquée aujourd’hui : l’association va y puiser le sens de son développement. Inspirée également de l’école alternative de Reggio Emilia¹ (Italie), une pédagogie autour des attitudes professionnelles et de l’accompagnement de l’autonomie des enfants ; ces deux sources ne se sont pas taries. Elles conjuguent dans les relations actuelles un triple lien, avec les familles, les professionnels de l’enfance et les partenaires, pour se positionner au cœur d’enjeux culturels et artistiques.

Dans la mise en place de ses différents ateliers auprès des enfants et des familles, la mixité de plusieurs disciplines artistiques est privilégiée. Le désir de créer des installations plastiques, des petites formes de spectacles, vont accompagner et enrichir ces interventions. Ce seront les premiers pas de l’activité « Compagnie » qui va naître au sein de l’association en 2015 ; un véritable outil de production qui, dans cette continuité va résonner sur le territoire local et dans le département. Dans cet élan de créativité, de rêve et d’imaginaire, les artistes vont en retour, nourrir de nouveaux modes d’interventions culturelles de proximité. Sept intervenantes (musiciennes, lectrices, danseuses, plasticiennes) constituent l’équipe sur le terrain. Presque toutes sont accordées sur un double profil (EJE – animatrice familiale – auxiliaire de puériculture et… artiste) et fortement impliquées dans leur secteur respectif ; « un savant mélange de synchronicité heureuse et de cooptation intuitive » souligne la présidente de Toile d’éveil, Marie Lise Veres. L’arrivée de Mathilde Barraud, musicienne formée au CFMI de Tours, permet d’étendre les explorations artistiques vers le secteur scolaire et celui de la santé. Sous son impulsion, la compagnie Toile d’éveil où elle est chargée de la production, va porter une réflexion sur la rencontre entre l’artiste, l’enfant et l’adulte qui l’accompagne : dans un quartier, dans une structure petite enfance, en milieu de soins. Les valeurs de partage et de co-construction font partie de la clef de voûte du fonctionnement de l’équipe, dans la création de ses ressources et dans ses modes opératoires.

La nouveau projet Cabanes, espace poétique de découvertes et d’explorations sensorielles en direction des très jeunes (0-3 ans) s’inscrit dans cette dynamique ; l’enfant y sera invité à déambuler autour de trois cabanes à l’univers feutré, accompagné d’artistes : musiciennes, danseuse et plasticienne.

DES LIENS DE CONFIANCE ET DE PROXIMITÉ 

L’association agit en faveur de l’éveil culturel et artistique du jeune enfant pour favoriser le lien social / familial et lutter contre les exclusions. Ce travail de proximité et de confiances réciproques fait « pour et avec » les familles est une recherche constante. Observer, écouter, réfléchir, expérimenter, s’ajuster, transmettre (mais aussi prendre son temps, tâtonner) constituent des étapes nécessaires parfois essentielles. À partir de ces préalables, Toile d’éveil module ses interventions : chanter, faire chanter, créer, fabriquer des parcours ou des paysages sonores autour de la lecture des histoires et des contes, favoriser les pratiques autour de la danse, du langage corporel et de la création plastique.

Ces rencontres, où les questions d’intimité et d’universalité se côtoient, s’ajustent dans une qualité de présence, sans forcément se situer dans une dimension « spectaculaire ». Elles réunissent ainsi d’autres partenaires ou « en chef d’orchestre », Toile d’éveil donne le sens à l’action, avec délicatesse, respect et tact qui restent au rendez-vous de la démarche. Ce tissage compose l’ADN de cette association qui nourrit sa réflexion et questionne ses pratiques au niveau national auprès d’un réseau de partenaires, notamment Enfance et Musique et l’Agence quand les livres relient.

DE LA MUSICALITÉ DES LANGUES À BABIL BABEL

Au café des parents de l’école Voltaire du quartier Monplaisir, enfants, familles et enseignants, s’enrichissent de rencontres précieuses et inédites initiées par Toile d’éveil autour de chansons et d’histoires puisées dans la mémoire des familles ; ces ateliers à la fois formels et informels, créent une atmosphère d’échange et de générosité.

Le court métrage d’Ananda Safo, Histoires de langues : un voyage dans l’intime et le partage², témoigne de ces ateliers menés avec beaucoup de sensibilité par Mathilde Barraud et Aline Guérin, animatrice et lectrice au sein de l’association. Le film était l’occasion « de rendre visible l’invisible, montrer comment se tissent les liens entre les enfants, le livre, la musique, les parents, la culture et les langues » précisent elles. « Bagage, mon histoire musicale »³, livre CD lié à ces rencontres sortira en décembre 2019.

À l’automne 2017 – en s’appuyant sur le groupe « petite enfance, langage et littérature jeunesse », composé de divers acteurs locaux (petite enfance, éducation nationale, bibliothèque, agents de la ville, etc.) qu’avait impulsé et qu’animait l’association Toile d’éveil – le séminaire national Babil-Babel⁴, créé et animé par l’Agence quand les livres relient, s’est déployé sur Angers, en partenariat avec la Ville et avec le programme de recherches universitaire Enjeu[X]. Pendant 18 mois, le séminaire s’est réuni à plusieurs reprises pour aboutir à la programmation d’une journée d’étude à Angers en janvier 2019⁵. 

Qu’il s’agisse des notions de multilinguisme, « d‘hospitalité langagière », de littérature jeunesse plurilingue ou bilingue, des liens parents-enfants, ces échanges, entre théorie et pratiques, dans une approche interdisciplinaire, ont permis de faire émerger des questionnements, de partager des connaissances et des expériences, mais aussi de forger des convictions communes. Ils ont aussi été l’occasion d’affirmer la place et le rôle de l’association Toile d’éveil sur ce territoire. Babil-Babel a constitué un moment où « ça fleurit ça récolte, il y a de l’irrigation dans l’air et de la graine qui pousse » ajoute la présidente.

À la suite des engagements de l’association dans les quartiers, l’appui et l’écoute des institutionnels se sont renouvelés. Cet intérêt éclairé des partenaires extérieurs n’arrive pas par hasard ; il conduit aujourd’hui Toile d’éveil à mener des temps de sensibilisation et d’accompagnement des pratiques auprès des équipes professionnelles, à prendre en compte de nouveaux désirs de collaborations des partenaires et des artistes. Son rôle d’expertise sur les questions culturelles de la famille, ses savoir faire, entraînent celle-ci vers de nouvelles attaches au sein d’organismes publics : écoles, crèches, PMI, bibliothèques, maisons de quartier. Fruit de rencontres culturelles partagées avec les élu.e.s, cette reconnaissance résulte d’un tissage aux mailles serrées avec les préoccupations sociétales. Portées par la politique de la ville, qui a qualifié « d’alignement de planètes » ce multi-partenariat, Toile d’éveil souligne la nécessaire prise en compte des objectifs de chacun.

TOILE D’ÉVEIL, BIENTÔT 20 ANS 

Les valeurs engagées autour de l’éducation populaire et de la place de la culture dans la société, l’affirmation et la consolidation de sa propre identité se vivent et se réfléchissent aussi en interne. Un très récent audit effectué par un dispositif local d’accompagnement (DLA), lié à la consolidation des associations dans le cadre de l’économie sociale et solidaire, a préconisé des évolutions dans l’organisation de Toile d’éveil.

Brigitte Bricaud, fondatrice fortement impliquée, a ainsi pris en charge le nouveau poste de coordinatrice générale à la suite de ce DLA très instructif, « un véritable remue-méninges qui a bousculé bénévoles et professionnels sur la gouvernance de l’association tant dans ses ressources humaines que matérielles » précise-t-elle. Fort de ces préconisations, mais en refusant l’esprit de prestataire dans un mille feuilles de fiches d’action, l’équipe a toujours des envies de se projeter, de tenter de nouvelles choses, pour habiter et investir le rôle de passeurs de culture et (r)éveiller la capacité des personnes à prendre part à leur vie dans la cité.

La ville d’Angers souhaite que cette « pépite » que représente Toile d’éveil s’empare de l’opportunité de la construction de la future cité éducative liée à la rénovation urbaine, pour prendre toute sa place dans ce projet. La préparation des 20 ans de
l’association sera l’occasion d’associer les partenaires, de témoigner auprès des institutionnels, afin de donner sens à ses enjeux, d’affirmer voire de revendiquer ses valeurs humanistes, en poursuivant l’écriture de cette belle histoire.

• Jean-Paul Boileau