Les enfants ne vont jamais seuls au spectacle… C’est donc à ce moment partagé entre un adulte et un tout-petit que nous sommes invités à réfléchir.
Se mettre en état de gourmandise culturelle suppose que l’on sache faire une place à l’attente, que l’on fasse naître l’envie… La pensée nait de l’absence ! Comment parler à un tout-petit de quelque chose qu’il n’a jamais vu, qu’il ne connait pas ? N’ayons pas peur des mots qui créent l’appétence de la découverte : théâtre, spectateur, acteur. Parlons des lumières qui vont s’éteindre puis se rallumeront quand ce sera fini. Accompagnons les mots de signes, d’indices. De petites choses simples peuvent faire « transition » : l’annonce (un peu solennelle), un programme ou un billet, une affiche dans la crèche, un mot aux parents, une véritable invitation. Être invité, signifie déjà que quelqu’un, un événement nous attend, quelque part.
Retenons la proposition de Christelle Hunot qui dirige le théâtre Lillico à Rennes de demander aux artistes de proposer des « indices » à partir de leur spectacle qui seront autant « d’incitations à découvrir », de questionnements qui rendent curieux. Un indice, cela peut être une couleur, une mélodie, quelques objets représentatifs du thème, un jeu…
Arriver à l’heure ! Un spectacle jeune public dure entre 25 et 40 minutes maximum, arriver en retard ne serait-ce que de quelques minutes rend difficile >> la compréhension progressive d’un spectacle et impossible ce moment très précieux où l’on peut s’installer tranquillement avant que l’obscurité ou la demi obscurité ne s’installe, où l’on peut repérer le lieu et vérifier la présence proche et rassurante de l’adulte qui accompagne. Arriver en retard c’est aussi perturber un public, déranger le ou les acteurs et donner peu d’importance à ce moment du spectacle… Il y a toujours de bonnes et vraies raisons à ces retards mais voir un spectacle à « tout prix » dans n’importe quelles conditions, serait renoncer à la gourmandise, à la dégustation pour passer à une forme de consommation et de remplissage.
Le sas d’accueil permet à chaque spectateur, enfant et adulte, de laisser dehors le quotidien, de se mettre en condition de « recevoir ». Il est nécessaire et a une durée minimum ; absent ou trop court (1 ou 2 min) il ne permet pas au spectateur de se mettre en situation d’écoute… Il ne doit cependant pas durer trop longtemps : au-delà de 10 min, il induit agitation, déconcentration et démotivation.
Dans l’expression sas d’accueil, il y a « accueil » et il est important que cet accueil verbal soit fait par un professionnel du lieu culturel qui reçoit le spectacle (en quelque sorte c’est l’hôte qui accueille dans sa maison et qui donne donc les règles de son lieu). Ce moment permet de repérer que l’on est bien entré « ailleurs », que quelqu’un nous reçoit et que les consignes qui nous sont données concernent tout le monde, adultes accompagnants compris !
Ces temps de préparation nécessaires ne sont pas à confondre avec pléthore d’explications qui priveraient l’enfant du bonheur de la surprise et de la découverte! Ce qu’il faut favoriser, c’est cette capacité de « rêverie contemplative » dont parle Agnés Desfosses, directrice artistique de la Cie Acta et de la Biennale européenne de spectacles pour la petite enfance du Val d’Oise. C’est-à-dire « la concentration extrême dont est capable le très jeune enfant sur les moindres détails de la vie ou de la scène (un brin d’herbe, le jeu de lumière entre les feuillages…), sa capacité d’exploration »1.
Mais qu’en est-il quand le spectacle arrive dans le lieu d’accueil du jeune enfant ? Comment transformer un lieu de la vie quotidienne en lieu de culture ? Là aussi il nous faut réfléchir à ce qui peut faire transition. Pourquoi pas tout simplement chacun son ticket à l’entrée de la salle de spectacle ?
On peut dire que le bébé est un poète dans sa capacité spécifique de traiter les informations d’un canal sensoriel à l’autre… C’est ce que les neurologues appellent la transmodalité et que nous perdons en grande partie à l’âge adulte.
Pour être attentif à un spectacle il faut donc pouvoir mobiliser tous ses sens, ce qui se traduit par de bonnes conditions d’installation : s’assoir confortablement (des pieds qui touchent le sol !), voir tout ce qui se passe sur la scène (ne pas perdre l’angle de vision), être à une juste distance (ni trop près, ni trop loin).
Y a-t-il des spectacles « spécialisés » jeune public ? Avant de parler et de comprendre les mots, l’enfant est entouré de paroles. Autour de lui, « ça parle », parfois dans sa langue, parfois dans une autre. Il ne peut y avoir de préconisations artistiques quant au spectacle jeune public, ce serait nier l’art et n’en faire qu’un nouveau média de la pédagogie… Certains choisissent de s’adresser aux capacités sensorielles chez les très jeunes enfants, d’autres (parfois les mêmes d’ailleurs cela ne s’exclut pas) s’aventurent dans le texte et les jeux avec les mots. Le jeune enfant comme l’adulte aime la douceur, le cocon, la sécurité de ce qu’il connait déjà mais il aime aussi avoir peur, découvrir l’inconnu, être surpris…
Piaget parlait d’une « pensée sensori-motrice ». Le bébé ne peut comprendre que ce sur quoi il agit : c’est avec tout son corps que l’enfant ressent, regarde, écoute… Ce n’est pas facile avec un groupe de laisser les enfants regarder, écouter, en bougeant. Nous devons donc être attentifs à une proximité corporelle de l’adulte avec l’enfant : installer le jeune enfant en lui permettant de bouger ses bras et ses pieds et surtout, concevoir des projets avec de petits groupes d’enfants, ce qui laisse la possibilité d’une tolérance au mouvement.
La spécificité du théâtre c’est bien que quelque chose « se joue » à distance sur une scène ; ne négligeons pas cet espace nécessaire entre le lieu de la représentation et le lieu du spectateur. Aujourd’hui un certain nombre de représentations jeune public se terminent par l’invitation faite aux enfants de « transgresser » l’interdit énoncé en début de spectacle quant à l’espace de la représentation (la scène), pour aller manipuler des objets ou des instruments, expérimenter des matériaux. Si cette proposition peut avoir du sens en terme d’appropriation du contenu d’un spectacle, d’un univers artistique, il me semble qu’elle ne contribue pas à la clarté de la compréhension des codes du théâtre. Peut-être serait-il plus judicieux de proposer un espace de découverte en dehors de l’espace scénique où l’on pourrait retrouver des échos ou des illustrations du spectacle pour un temps de manipulation et/ou d’atelier. Il est peut-être bon que la scène reste quelque chose de magique et de secret.
LE BRUIT TONITRUANT DES CHUUUUUT !
L’enfant n’attend pas la fin du spectacle pour exprimer son ressenti : spontanément il émet des sons, des rires, s’exclame… C’est son mode de présence. Pour l’adulte accompagnant qui, lui, a intégré les codes du spectacle, il est tentant d’inviter l’enfant au silence, c’est là qu’arrivent les « Chuuuuuuut », souvent lancés sur un ton tonitruant ! Ces intrusions verbales de l’adulte perturbent réellement l’attention des enfants et des autres adultes au spectacle, elles ramènent au réel, cassent la magie et le vécu émotionnel de l’enfant.
Et les pleurs ? Que faire des pleurs pendant le spectacle ? Si c’est l’émotion provoquée par le spectacle qui est la cause des pleurs, il n’y a aucune raison de ne pas permettre à l’enfant de s’exprimer de cette manière (dans ce cas d’ailleurs les pleurs s’estompent souvent avec la suite du spectacle). Par contre si le chagrin est dû à une autre cause, il est parfois plus judicieux d’éloigner l’enfant avant que la détresse ne devienne contagieuse !
Et après… Les « cadeaux souvenirs » ne sont pas des gadgets pour touristes. Certains auteurs ou metteurs en scène ont su avec beaucoup de délicatesse « offrir » après le spectacle une surprise inattendue qui fait sens, en écho au propos du spectacle, que chacun peut s’approprier à son gré et faire resurgir quand il le souhaite pour revivre ce moment.
Ainsi Nadine Demange qui tire de son panier – à la fin du spectacle Terrible dans le Camion à histoire – un petit sachet transparent contenant une minuscule poupée guatémaltèque à qui on pourra confier ses peurs et ses secrets.
Dans Un Papillon dans la neige2 de la compagnie O’navio, les spectateurs doivent poser leurs chaussures avant d’entrer dans «l’octogone». En sortant, ils découvrent dans leurs chaussures un petit sachet blanc, qui renferme des graines de petit pois à faire pousser, avec un «mode d’emploi» dessiné par Anne Letuffe. C’est donc une surprise qui nécessite du temps pour la voir naître. « J’aime beaucoup l’idée que l’enfant puisse se rappeler jour après jour le spectacle pendant toute la poussée de son petit pois » déclare Alban Coulaud, metteur en scène. Cette surprise est bien entendu en rapport avec un événement du spectacle : la pousse d’une tige de petit pois !
Le temps de l’enfant n’est pas celui de l’adulte : après le spectacle, c’est peut-être dans ses jeux qu’il retrouvera ou recréera à son tour des moments du spectacle… Un jour, plus tard, parfois beaucoup plus tard, il mettra des mots sur son « expérience » de spectateur ou pas… Les adultes doivent respecter l’enfant, spectateur d’aujourd’hui. Il sera un spectateur demain, ce qui lui appartient. Laissons donc « l’après spectacle » libre de pensée…
• Marie-Odile Némoz-Rigaud
Psychologue, auteur (Des artistes et des bébés, Éd. ÉRÈS 2004), formatrice conférencière, a été coordinatrice petite enfance puis chargée de médiation culturelle au Conseil général 64.
1 – Voir la revue Regards n°5 – Mélimômes et les bébés.
2 – D’après l’œuvre d’Anne Letuffe.
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