Les rendez-vous à la cabane

Face à une demande croissante des professionnels de la petite enfance, à une attente des familles, et pour répondre aux problématiques liées aux spectacles, Musique etc. et Passeurs de Rêve organisent chaque année un temps de rencontres, d’ateliers et de productions. Un moment enrichissant pour tous, un réseau en devenir.

La première édition des Rendez-vous remonte à 2006. Musique etc. propose alors des spectacles et des rencontres/débats dans les lieux de la petite enfance caennaise. Pendant trois ans, des invités nourrissent des temps de réflexion sur les pratiques d’éveil à la culture des tout-petits. Les professionnels de la petite enfance se rencontrent, échangent autour d’une thématique particulière. Rejoint en 2009 par l’association Passeurs de Rêve, Musique etc. n’a cessé de développer ce temps fort qui revêt désormais un intérêt tout particulier pour l’ensemble des partenaires.

Des origines aux Rendez-vous d’aujourd’hui

Lors de l’édition 2006, Pascal Perrin directeur du festival Premiers Emois en Bretagne répond aux questions des professionnels de la petite enfance. La richesse des échanges suscite le besoin de constituer un réseau pour une mise en commun des outils et des savoirs. L’année suivante, le pôle petite enfance de la Caf (Caisse d’allocations familiales de Caen) propose un thème de réflexion : les adultes qui accompagnent les tout-petits au spectacle. 

L’association Enfance et Musique est invitée aux débats, le réseau d’éveil culturel de Cherbourg est convié à faire part de son expérience. La faisabilité d’un réseau en Basse Normandie reste en discussion.

Novembre 2008 est marqué par le questionnement de « la mise en commun » : comment réfléchir à la notion de réseau ou de partenariat autour de l’éveil culturel ? Quatre points forts se dégagent : la nécessité de débats sur l’intérêt et l’accueil du tout-petit au spectacle, les conditions matérielles nécessaires aux spectacles et à l’installation du très jeune public, les questions financières notamment l’achat des spectacles (se regrouper pour diminuer les coûts d’achat de spectacles), enfin l’organisation des spectacles dans le but de permettre à un grand nombre de très jeunes spectateurs d’avoir accès aux spectacles de qualité adaptés à leur âge, dans de bonnes conditions techniques d’accueil. 

En 2009, les deux associations Passeurs de Rêve et Musique etc. choisissent de mutualiser leurs ressources humaines, artistiques, logistiques et financières pour porter le projet et lui permettre d’évoluer. Cette première « édition mutualisée » se questionne sur l’évolution de l’éveil culturel lors de laquelle, Marc Caillard, fondateur et directeur d’Enfance et Musique est invité à partager les débats. 

Depuis, les journées se sont encore enrichies et sont aujourd’hui organisées autour de plusieurs propositions. Le public peut assister à des spectacles adaptés aux tout-petits, participer à une journée de conférences et débats. Les parents peuvent découvrir des ateliers se déroulant dans leur quartier (pour eux et leurs enfants). Des ateliers artistiques soutenant le lien parent/enfant soulignent l’importance d’une démarche créative que l’on peut s’approprier pour se construire. 

L’édition 2011 est la première année où les Rendez-vous à la Cabane sont placés sous le signe de la parentalité. À l’ordre du jour : les publics isolés, les parents en difficulté de communication avec leur enfant dans les quartiers de l’agglomération caennaise entrant dans le dispositif des Cucs (Contrat urbain de cohésion sociale). Lors de la journée de conférences et débats intervient Pascale Mignon, psychologue  : « Quelle évaluation possible des actions d’éveil culturel et artistique à l’intention des jeunes enfants et des familles ». Catherine Juliet Delpy, psychopédagogue et psychothérapeute aborde « les enjeux du spectacle pour le tout-petit et l’adulte qui l’accompagne ». Les responsables des services culturels et/ou petites enfance des mairies de Caen, Hérouville-Saint Clair et Ifs sont partenaires pour les représentations. « À Ifs, nous avons bénéficié de l’aide de la Pmi, des parents fréquentant le multi-accueil et des nounous du relais assistantes maternelles. Un parrainage auprès de familles isolées a été mis en place. La mairie achète la billetterie pour que le spectacle soit gratuit. À Hérouville-Saint Clair, soixante places sont distribuées aux associations La voix de femmes, L’épicerie solidaire, Le café des enfants et des parents. Le centre socioculturel Caf au Chemin vert à Caen achète également une partie de la billetterie. » Hélène Moulinier précise que le travail entrepris en 2007 avec l’Espace Tandem à Caen se poursuit. Le public est au rendez-vous, 75% des séances sont complètes six semaines avant la date des représentations. Les deux spectacles En ColimaSon et Gri Gri ou la fabuleuse histoire d’un escargot tout gris génèrent un total de quinze représentations

On peut le constater, les trois premières éditions des Rendez-vous à la Cabane, abordent des thèmes qui préoccupent tous les acteurs : professionnels de la petite enfance, programmateurs, lieux culturels, artistes…Les rencontres ont pris une réelle ampleur et suscité un intérêt croissant auprès des parents, des professionnels de la petite enfance et des partenaires institutionnels. L’édition 2011 thématique, aborde le thème de l’eau mais elle consacre une partie des débats au choix et à l’organisation des représentations. En effet, nombre de lieux souhaitant accueillir des spectacles ne sont pas préparés ni équipés pour un tel accueil. Sensibles aux retours de terrain, Musique etc. et Passeurs de rêve constatent que des propositions ne sont pas adaptées à l’âge des enfants. Comment sélectionner une prestation – que l’on n’a pas vue – et comment être certains qu’elle correspond au public des tout-petits ? Les problèmes techniques sont également nombreux : salles non adaptées, problèmes de place, difficulté pour faire l’obscurité, visibilité pour les enfants, confort pour une bonne réception du spectacle, temps de montage… Autant de questions qui traversent des lieux dont la vocation première n’est pas d’accueillir des représentations. 

L’évolution d’un engagement

Au fil des années, la volonté de faire appel aux professionnels pour envisager la relation de la culture et de la petite enfance s’est affinée. Ayant tout d’abord abordé des questionnements généraux, les Rendez-vous à la Cabane se sont insensiblement rapprochés du terrain et il n’est pas surprenant de voir apparaître le thème de la parentalité et des quartiers. Ce travail, initié en 2010, est actuellement poursuivi. Musique etc. s’attache donc à un travail de fond, alimenté par les professionnels de la petite enfance et du spectacle mais parallèlement envisage toutes les dimensions d’une action inscrite dans un territoire. Un travail spécifique doit permettre d’entrer en contact avec les enfants et leurs familles grâce aux structures implantées dans les quartiers liés aux contrats urbains de cohésion sociale. Comme le souligne Hélène Moulinier, « nous voulons proposer des ateliers, des spectacles pour les enfants et leurs familles, à côté de chez eux… Nous proposons une demi-journée de découverte, ouverte à tous notamment aux parents. Nous voulons questionner l’importance de l’accompagnement du petit enfant. Nous souhaitons faire évoluer la prise de conscience et souligner les enjeux essentiels dans le développement d’un jeune enfant. La rencontre avec les parents des quartiers est de permettre à chacun d’avoir une idée plus précise des activités d’éveil. Nous désirons amener le projet dans trois quartiers précis¹ ».

une édition sur le thème de l’eau 

Musique etc. a choisi de partir de l’expérience personnelle du tout-petit avec son environnement et de son lien « nutritif » avec l’eau pour établir des correspondances avec d’autres sens. L’éveil musical est envisagé comme une partie d’un éveil plus global qui se penche sur l’enfant et ses rapports au monde.

« Un tout-petit (avant trois ans) ne fait pas de différence esthétique entre un son produit par un objet quotidien et un son produit par un instrument de musique. Pour lui, toute sensation est sonore. Chaque enfant expérimente son environnement (y compris sonore) par son corps. Avec le plaisir du son, il y a le plaisir du mouvement qui le provoque. » Hélène Moulinier précise : « Dans les ateliers, nous utilisons des objets du quotidien, détournés de leur fonction initiale et choisis pour leur qualité sonore. Le regard des parents sur les objets quotidiens peut leur permettre de réinvestir un espace familial autrement. Le son des vrais instruments est quant à lui déclenché par des mouvements multiples et variés. Nous souhaitons également construire des instruments de musique aquatiques comme les tambours d’eau ou les flûtes aquatiques ».

Pourquoi avoir choisi ce thème? « L’eau qui est à l’origine de le vie, représente un élément de la vie quotidienne, familier des familles et de leurs enfants. En utilisant l’eau, le quotidien intervient dans un moment extraordinaire, de partage et de douceur. L’eau devient un vecteur de curiosité, d’inventivité et d’imaginaire : inventer des sons, les essayer, jouer avec, les transformer… »

Une action tout au long de l’année

Les prochains Rendez-vous auront un caractère nouveau puisqu’ils s’inscriront comme une étape d’un travail sur le terrain, entrepris six mois plus tôt. Les deux associations, Passeurs de Rêve et Musique etc. mènent une série d’ateliers – entre janvier et juin – à  raison de deux interventions mensuelles par quartier.

Ces ateliers consacrés au conte, à l’éveil musical et corporel « sont le prétexte d’un long travail avec les populations en difficulté autour de la parentalité ». Poursuivant concrètement la réflexion abordée en novembre 2010 sur la parentalité, les deux associations croisent cette thématique avec une pratique de terrain centrée sur le thème de l’eau qui va nourrir les prochaines rencontres. 

« Nous explorons dans les ateliers tous les gestes qui sont à la fois ceux de la découverte du monde et ceux d’une pratique artistique qui se construit : arroser, souffler, taper, caresser… Arroser est un geste banal pour le petit enfant mais c’est aussi arroser différents objets et écouter le son produit sur l’objet. On peut aussi souffler, dans l’eau avec une paille ou des tubes et écouter les bulles. Tremper les mains dans l’eau mais utiliser un entonnoir relié à une flûte, par pression l’eau pousse l’air dans la flûte, un son se déclenche, plus ou moins long. Taper sur des tambours d’eau produit des sons doux, étonnants, aquatiques, proches de ce que peut entendre le bébé dans le ventre de sa mère. Caresser un cristal Baschet après avoir plongé ses mains dans l’eau, c’est faire naître un son pur et enveloppant. »

Des anciennes pratiques musicales de l’Afrique de l’ouest avec les calebasses devenant tambours d’eau aux instruments acoustiques nés d’une lutherie contemporaine inventive (le cristal Baschet), les ateliers proposent des expériences d’écoute nourries de gestes simples. C’est le temps, pour les parents et les petits, d’une découverte et d’une exploration sans fin. 

« Notre collaboration avec Passeurs de Rêves nous a donné envie de raconter l’eau. C’est raconter le monde fœtal, le monde émotionnel dans lequel vit l’enfant jusqu’à six ou sept ans, période où le cerveau limbique (lieu de stockage des émotions) est le plus actif. C’est aussi raconter l’importance de l’eau présente dans le monde entier, les besoins en eau, essentiels à la vie. Il s’agit alors d’amener à une première prise de conscience grâce à des histoires adaptées aux petits par le plaisir, la poésie des sons, des mots, des gestes partagés avec les parents. »

Pendant les ateliers, les histoires se nourrissent du monde quotidien proche du tout petit et de ses perceptions de l’eau, pour se laver, boire, arroser, évoquer la pluie, la mer… toute proche des habitants de région caennaise. L’objectif est de les sensibiliser par un contact sensitif et émotionnel : toucher, expérimenter, entendre/écouter, parler, réagir, bouger, jouer…

Ce long travail devrait se renouveler par période de six mois avec une prochaine étape entre janvier et juin 2012.

La rencontre avec les parents des quartiers

Les spectacles constituent une entrée en matière avant la rencontre avec les parents des trois quartiers définis dans le projet. Ce préambule artistique marque le début du lien avec les familles. Selon le quartier, les partenaires accompagnent les parents pour une première soirée d’échanges qui a pour vocation de permettre aux familles de se forger une idée précise du contenu des ateliers parents / enfants mais aussi de lever des freins, de se rassurer. Les intervenants présentent les ateliers, en expliquent le contenu, invitent chacun à rejoindre les ateliers. Pour une cohérence plus grande, Musique etc. et Passeurs de Rêve ont souhaité que les artistes des spectacles soient les intervenants des ateliers. Le lien s’établit donc plus naturellement et dans cette démarche nouvelle pour la majorité des familles, les référents sont les mêmes tout au long du parcours.

Des ateliers de proximité dans la durée

Musique etc. a souhaité que l’ensemble des ateliers d’éveil culturel, de musique et/ou de contes s’installent dans les lieux d’accueil du quartier. Le café des parents et des enfants, le centre socioculturel de la Caf sont des lieux connus de tous. À raison de deux interventions chaque mois pendant six mois (soit douze ateliers par commune ou quartier) un travail régulier peut s’installer. Ils sont gratuits pour tous. Une courte présentation publique peut signifier l’aboutissement du parcours partagé. 

« Accompagner le tout-petit dans le monde du corps, des sons, et des histoires est aussi essentiel à son développement sensoriel et psychomoteur que le développement de sensibilité tactile ou visuelle. Les jeux qui s’instaurent durant les ateliers sont l’occasion de moments intimes d’échanges entre l’adulte et le tout-petit. Le plaisir des gestes combinés aux chansons, la théâtralisation de comptines, les jeux de doigt et les contes, la découverte et les dialogues avec les sons instrumentaux, les premiers mouvements du corps et les danses aident le tout-petit à différents titres. » 

Les partenaires

Pour soutenir le développement des Rendez-vous à la Cabane, le Conseil régional, le Conseil général, le Crédit Mutuel ont conjugué leur soutien. Les mairies d’Ifs, d’Hérouville-Saint Clair et de Caen ont également participé au financement du projet ; elles ont par ailleurs mis en relation les compagnies avec les associations et les structures de terrain. Epiceries solidaires, Ram, associations, centre socioculturel de la Caf, ont fait le lien avec les familles. Dans un contexte où l’isolement social et économique pèse sur les familles, la conjugaison des énergies trouve tout son sens. Lorsque l’on rêve d’élargir les publics, de permettre aux plus démunis d’accéder aux lieux culturels, l’essentiel n’est-il pas d’aller au devant de ces publics, souvent délaissés ou réticents à pousser les portes de lieux qu’ils considèrent réservés à d’autres. S’appuyant sur la fréquentation réelle des « lieux de tous les jours », des artistes y installent leurs savoirs faire. On peut alors parler d’une inscription dans le territoire. ν  H.K.