L’édito de Territoires d’éveil 27

Écoutons le clown quand il nous raconte ici, sans fard ni détour, sa rencontre avec le tout-petit : « Grand, tellement grand qu’il m’appelle dans mon travail d’artiste à aller le rejoindre ». Entendons et assumons, derrière ces mots poétiques et habités, la responsabilité que l’enfant est en droit d’attendre de la communauté des adultes autour de lui, qu’ils lui permettent de cultiver ses formidables potentialités de sensibilité et de création, d’être accompagné à grandir dans un futur possible et désirable dont nous sommes à chaque génération les seuls garants devant lui.

La réalité est tout autre aujourd’hui… Qualité de l’accueil des jeunes enfants gravement mise à mal et dans la quasi impossibilité d’obtenir les conditions d’une présence pérenne d’artistes dans les lieux de vie des familles et des enfants, en lieu et place du saupoudrage actuel de projets culturels ponctuels, souvent formatés. Face à la régression apparemment sans limite des acquis sociaux et des services publics de notre pays, que pouvons-nous espérer aujourd’hui ? Comment retrouver et réactualiser ces valeurs qui sont les nôtres ? Où sont les logiques de solidarité ? Pouvons-nous encore investir un temps, habité, valorisé, mener des projets de sens, regarder, s’attarder, penser…

« Comment ne pas avoir envie de réunir le très jeune enfant et le clown, de rire ensemble de notre condition si limitante… Ce personnage qui nous aide à poétiser nos pensées, nos projets, qui nous ouvre les portes, pousse les murs, voit plus loin, plus grand. » Ce clown qui habite Aude Maury, et dont elle témoigne, nous appelle à transcender les obstacles dans une altérité créatrice sensible des langages et de l’infini développement du sens. Il évoque et invoque dans une dérision théâtralisée des limites, dans une acceptation ludique et imaginative de la tragédie humaine, le mouvement vivant et intersubjectif des milles et une facette de nos représentations du monde. C’est ce travail imaginaire et artistique qui constitue et contient paradoxalement la seule croissance et le seul développement d’avenir possible pour notre humanité en grand risque aujourd’hui.

 « L’art clownesque nous parle d’un ailleurs, de l’ultra-sensible, de la force de vie, d’un sérieux, qui n’appartient je crois qu’aux enfants et aux clowns, monde transpercé d’un regard sans filtre. Décrocher la lune ? Oui j’y cours… Monde de possibles…» La dimension politique est aussi là, vivante, porteuse d’espoirs et de désir d’agir dans cette relation artistique sensible et créative de l’enfant au monde et aux autres qui le conduit à se créer lui-même en interprétant les propositions artistiques qu’il reçoit dans un échange sensible avec les autres. La conscience de l’urgence et une aspiration grandissante de transformation sociétale profonde sont perceptibles à tous les niveaux de notre vie sociale et au-delà dans les bouleversements du monde.

Une vision de l’art mobilisateur ne serait-elle pas une partie de la réponse pour retrouver la notion d’un temps partagé, d’un projet collectif… pour oser un basculement civilisationnel quasi révolutionnaire. Le devenir du tout-petit qui dépend de la qualité des adultes qui l’accompagnent nous appelle à nous mettre en mouvement… Il est sans aucun doute grand temps…

• Marc Caillard
Président – Fondateur – Enfance et Musique