Sophie Grelié affirme son intérêt grandissant pour la qualité des relations sonores et vocales entre l’adulte et le jeune enfant. C’est sans doute l’un des éléments qui l’a conduite à concevoir le spectacle Ma, dernière création pour la petite enfance de la compagnie Éclats.
MA
Sophie Grelié affirme son intérêt grandissant pour la qualité des relations sonores et vocales entre l’adulte et le jeune enfant. C’est sans doute l’un des éléments qui l’a conduite à concevoir le spectacle Ma, dernière création pour la petite enfance de la compagnie Éclats.
Dans une hutte / cocon, une femme chante. Ce pourrait être aussi une grotte, un escargot, un ventre. Une femme est couchée sous un tulle, elle touche son ventre, une voix égrène des syllabes, un bébé babille et la femme rit en écho au rire de l’enfant.
La conception épurée et intime de Sophie Grelié installe immédiatement le spectateur dans cette relation de confidentialité et de fusion que la mère vit avec son petit. « Au-delà des mots, la mère dit à l’enfant qu’elle est bien avec lui et qu’elle prend plaisir avec lui à l’échange. L’enfant, lui, incorpore les sonorités verbales du langage de la mère. En les reproduisant tout seul, il pourra recréer quelque chose de la mère. En vocalisant avec elle, il va découvrir le plaisir de la fusion et la séparation dans leurs voix qui s’accordent à l’unisson et se séparent (base de la construction et du plaisir musical). La voix du bébé, en interaction avec la voix de la mère, s’enrichit de tout un poids émotionnel. La mère, plus que d’enseigner la langue, tente de communiquer. »
Sophie Grelié a choisi de retrouver ce climat de communication préverbale qui permet à la mélodie de la langue des adultes de s’adapter au babil des enfants. Pour ce faire elle s’est lancé dans un pari audacieux, celui d’alterner et de mêler cinq des vingt Chants du capricorne de Scelsi pour voix solo à une composition électroacoustique qui reprend des chants Inuits et l’enregistrement de productions vocales de bébés. Ces vocalises gazouillées (brutes ou recomposées) sont diffusées en écho aux interprétations de la chanteuse. Et l’on trouve dans ces deux voix, les accents, la rythmicité, les changements d’intensité, les répétions, les staccato, les crescendos…propres au baby talk qui tisse les premières conversations de berceau. La création sonore de Sophie Grelié restitue les vocalisations du tout-petit « sortes de partitions vocales spontanées » que la partition du compositeur italien hors norme et si longtemps ignoré sublime. En complet décalage avec l’esthétique sérielle des années cinquante, Giacinto Scelsi plonge dans l’intimité du son et de la vie qui bat obstinément. La chanteuse donne dans cette œuvre à contempler le corps qui parle.
Dès les premières secondes, ce spectacle vocal et électroacoustique sollicite l’essence de la relation dans une esthétique irréprochable ; les compositions vocales originales utilisées pour la création sonore sont issues d’ateliers d’expression et d’improvisation auprès des bébés. Le travail a été réalisé dans diverses structures de la ville de Bordeaux, des résidences de création ont émaillé le cheminement artistique.
« À travers la communication infra verbale qui passe aussi par les regards, les mimiques, les gestes, les postures, l’enfant accède à la parole. Pour parvenir au langage, l’enfant doit être accueilli dans sa manière à lui de se dire et de communiquer, qui n’a rien à voir avec la langue parlée autour de lui. Il ne s’approprie la parole commune à tous que s’il a été d’abord reçu dans sa propre voix… C’est parce qu’il est accueilli dans un bain de langage, de voix, de musique, ou l’échange tient une place essentielle, que l’enfant accède au langage et à la chanson… En fait, les vocalisations de l’enfant mènent vers deux issues distinctes qui se retrouvent transposées dans des domaines différents de la culture : la parole tout à la fois utilitaire, signalisatrice, abstraite, conduisant aux opérations logiques de la pensée d’une part ; d’autre part, l’expression des émotions et des états d’âme, qui va du premier chant spontané de l’enfant jusqu’aux plus hautes formes de la musique vocale. »
Sophie Grelié a mise en forme la spontanéité du premier chant et choisi l’œuvre de Scelsi pour lui faire écho. En résulte un état de confidence et d’émotion perceptible dans la salle. Une grande attention, des étonnements et des rires (à l’apparition d’une chenille notamment) soulignent le climat de proximité installé par une mise en espace très fluide. La voix fait émerger des souvenirs lointains, elle est instrument de la découverte du monde. Le bébé exprime un état corporel sans qu’il y ait forcément adresse à l’entourage, le compositeur explore le monde sonore et nous le restitue transcendé et pourtant archaïque, comme un premier regard d’explorateur.
Conjugaison d’esthétiques
Avec une conduite lumière extrêmement soignée, les 26 minutes de Ma se déroulent avec grâce. Pas de parole, chacun peut se raconter son histoire et éprouver de multiples sensations. La chanteuse dialogue avec la chenille manipulée à vue par Sophie Grelié ; bien entendu la chenille deviendra papillon, car nous sommes tous là pour grandir un peu, mais surtout pas trop vite. Des sons de roches et de galet accompagnent des gestes de construction, de la boite à musique stylisée sort le papillon tant attendu et l’on regretterait presque que la mutation s’opère. Car dans ce monde de hululements et de sons rauques, de rires perlés et de syllabes obstinées, c’est l’histoire de chacun qui s’écrit à nouveau, inlassablement. « Les Chants du Capricorne utilisent le phonème qui trouble la hauteur du son, altère sa couleur et augmente ainsi son intensité. J’ai choisi ces chants parce qu’ils constituent à la fois des points de départ et les supports d’un travail d’exploration vocale. Les productions vocales de bébés font émerger des souvenirs lointains, des réminiscences de sons, d’images, de comptines de berceuses qui disent nos origines. »
Sophie Grelié réussit le pari de ramener le spectateur à l’expression pré-langagière et de lui transmettre une écriture musicale contemporaine. « Ce pré-langage, invention langagière, encore appelé parler-bébé ou baby-talk développe toute la musique de la langue maternelle : mélodie, intonation, rythme, timbre, couleur, intensité, intention, silences de la langue parlée. Elaborer un spectacle autour du pré-langage du bébé, c’est donner toute la dimension poétique de cette relation de l’adulte à l’enfant. Retrouver l’enfance de la parole, la musique de la langue, le plaisir premier de l’élocution, plaisir physique, ludique. C’est la matière première du spectacle Ma. » À cette matière première s’ajoute et s’enlace la musique de Scelsi, une audace que Sophie Grelié a maniée avec une extrême précaution. Faire le choix d’une partition contemporaine dans un spectacle pour les très jeunes enfants relève du défi. Il fallait rendre la production accessible aux adultes et aux enfants, sans préparation ou sensibilisation, dans un contact brut. La rencontre avec la matière sonore du compositeur s’effectue cependant sans heurt, dans une reconnaissance inconsciente guidée par la sensation. « Il n’est pas possible de proposer une musique inouïe sans précaution dès lors que l’on met les enfants dans une situation inhabituelle (en position de spectateur, dans un espace le plus souvent inconnu ou transformé, dans un rassemblement, avec des lumières tamisées. Il s’agit alors de trouver le moyen, par la composition du spectacle de détendre l’écoute pour accepter l’étrangeté de la musique, de faire en sorte que les enfants ne soient pas saisis de peur ou par trop d’émotion , que les adultes ne se posent pas la question de savoir ce que c’est, si c’est bon ou pas pour les enfants. » La force de la proposition artistique et la stylisation de la forme gomment les craintes. L’équilibre des propositions est calculé avec justesse, tout élément risquant d’être déstabilisant est contrebalancé par une mise en forme dont la fluidité évacue les aspérités. Les sons rauques sont accompagnés de gestes enveloppants, les cris sont atténués par la lumière apaisante, tout se joue dans la justesse des équilibres. Chacune des vingt six minutes a été préparée avec un soin rare. Et on se laisse guider dans cette expression de l’art sans voir passer le temps. ν H.K.
Ma
Spectacle musical pour les enfants de 6 mois à 5 ans
Durée : 30 mn
Musique : Cinq Chants du Capricorne de Giacinto Scelsi
Conception, mise en scène et création sonore : Sophie Grelié
Chant : Muriel Ferraro ou Marion Raiffé soprano (en alternance)
Manipulation et régie : Sophie Grelié
Scénographie : Bruno Lahontâa
Lumières : Eric Blosse
Costumes : Hervé Poeydomenge
Lampes sonores : Bruno Capelle
Collaboration artistique : Stéphane Guignard
Co-production Opéra National de Bordeaux, Office Artistique de la Région Aquitaine, Institut Départemental de Développement Artistique de la Gironde, Festival méli’mome Reims, Pessac en Scènes, Biarritz Culture
Avec le soutien de la Fondation Isabella Scelsi, de l’Adami et de la Spedidam
Rubriques
Enfance et Musique
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