Habiter un territoire

Les artistes sont des acteurs culturels des territoires. Leur implication dans la vie locale joue un rôle important dans le rapprochement entre l’offre artistique et les habitants.

Aller à la rencontre des familles, des gens, que nous ne nommerons pas volontairement ici « public », c’est aller au-devant des petites et grandes personnes, avec des histoires, des chansons, des objets qui racontent tout ce qui nous anime, tout ce qui nous fait vibrer, nous rassemble. Ces rencontres artistiques nous amènent à réfléchir, à poser et partager un regard sur le monde avec les gens, les arbres, la terre, la mer et les poissons, ce qu’il y a de « beau » à écouter, les histoires qui font la grande histoire. Car écouter, c’est faire exister l’autre, découvrir et en apprendre aussi beaucoup sur soi ! C’est ce à quoi nous œuvrons depuis la création de la compagnie et que nous devons poursuivre. Fort heureusement nous ne sommes pas les seul-e-s à porter ces convictions.

Notre compagnie La Vache bleue est basée à Hellemmes, à côté de Lille, installée à la Makina, lieu de création et de répétition mis à disposition par la commune. Notre théâtre, celui que nous pratiquons, est avant tout un théâtre de proximité avec le public où le spectateur est là, tout près, où nous pouvons entendre nos respirations réciproques, où nous nous devons d’être attentifs à ses réactions, à son humeur pour mieux l’entraîner dans notre univers. 

UN THÉÂTRE NOMADE

Depuis la création de la compagnie, nous tâchons d’imaginer des formes susceptibles de privilégier un rapport intime avec lui, qu’il soit jeune, très jeune ou adulte. Nous créons des spectacles qui vont à la rencontre des spectateurs dans une diversité de lieux et d’espaces : scènes, plateaux mais aussi hors-les-murs, avec l’idée que le théâtre peut se déplacer avec nous, une forme nomade en quelque sorte… 

Cette envie nous a amenés à créer des formes spécifiques pour des lieux non-équipés, pour la rue ou l’extérieur mais toujours avec l’envie de garder un lien de proximité avec le spectateur. Pas d’immense « jauge public », mais le plus souvent des petits groupes, une communauté théâtrale éphémère où se partagent l’envie et le plaisir de vivre un instant, un moment privilégié. Dans chacune de nos créations, nous expérimentons un théâtre artisanal, pour aller à l’essentiel, sans artifice et sans superflu. Notre matière principale de travail est la parole : le récit, la tradition orale, le conte y tiennent une place importante.

NE PAS TRANSMETTRE QUE DU SENSIBLE !

Les démarches d’éveil artistique et culturel qui sont nées dans les années 80-90 ont été le fruit de longues réflexions, d’observations, d’échanges, d’expériences, de projets, de réajustements, de questionnements : car c’est aussi ce qui fait notre humanité et nous rassemble sur des causes et des valeurs communes, sans attendre une expertise ou une validation des neurosciences sur le bien-fondé des actions mises en place et sur lesquelles de plus en plus d’institutions peuvent s’appuyer.

Il était alors question alors d’éducation populaire et d’émancipation. J’ai personnellement eu la chance d’avoir été à bonne école ; mon expérience avec l’association « Lis avec moi », entre autre, a été non seulement déterminante mais essentielle dans mon parcours et c’est tout naturellement que la compagnie a continué son travail dans ce sens. C’est sans doute aussi ce qui nous unit à Enfance et Musique.

UNE DÉMARCHE DE SENS

Acteurs et actrices de terrain, il nous faut mettre au centre le sens de nos actions, nos créations, nos réflexions, nos échanges pour partager un travail de lien et d’engagement et dépasser un « effet de mode » de l’éveil artistique et culturel. 

Il est important de ne pas transmettre « que du sensible » mais aussi de nourrir la réflexion, les savoir-faire et l’analyse d’une proposition artistique et culturelle, quelle qu’elle soit. 

Pour un travail de collectage, il m’a toujours semblé important de me plonger dans un bain de langage et de laisser les interlocuteurs me répondre en autonomie et en confiance. Cette immersion dans la collecte de comptines, berceuses ou jeux de doigts a été pour moi une source artistique, culturelle et humaine. Notre mission ne peut se résumer à être des exécutants sans connaissance du terrain. 

Il est important de remettre au centre la place de l’humain dans la connaissance fine des territoires, là où les gens œuvrent, avec souvent peu de moyens et de manière invisible. 

Nous pouvons nous réjouir aujourd’hui que soit entendue cette nécessité d’aller à la rencontre des habitants, des toutes petites personnes et des grandes, parfois « empêchées » par une vie trop fragile d’accéder à cette nourriture essentielle que représentent l’art mais aussi la créativité que chacun porte en soi. L’enjeu est de taille. C’est notre résistance, celle de nous mettre en joie, d’imaginer des possibles et d’avoir la liberté de penser le monde. 

Continuer à nous rassembler, dans une démarche de sens, de résistances – et n’ayons pas peur des mots – militante ! Car c’est par militantisme que les premières lectrices sont allées lire au pied des immeubles, que l’éducation populaire est née et nous resterons mobilisés pour une culture de qualité pour toutes et tous. La compagnie La Vache bleue inscrit ses créations dans cette démarche avec les toutes petites ou les grandes personnes. 

UN PARTAGE DIRECT

Résidences de territoires, collectages de paroles, de récits de vie, de comptines enfantines, parcours sonores en lien avec le patrimoine et l’histoire des lieux, veillées de comptoirs ou conservatoires nomades, événements singuliers ou petites formules souples contées et chantées… Notre compagnie retourne toujours dans les quartiers avec des équipes artistiques mêlant comédiens, plasticiens, constructeurs et fabricants de rêves… Ce contact direct avec les familles pour donner les clés, pas les codes, et ouvrir des possibles…

Parce ce que nous aimons rencontrer les gens là où ils sont, nous aimons écouter leurs récits et leurs histoires, dans le plus grand respect de ce qu’ils souhaitent partager avec nous, bien au-delà de l’air du temps et des injonctions à faire. C’est ainsi que nous construisons avec les petits souvenirs des un-e-s et des autres, toutes ces petites histoires de vies qui font peut-être la grande… 

• Marie Prête