Partons à la redécouverte des harmonies colorées de l’enfance. Isabelle Grégoire, directrice du CFMI de Tours, nous offre en partage une démarche d’attention profonde et d’éveil, dans la relation sensible que l’artiste établit avec le tout-petit.
Enfance… En chacun d’entre nous, ce terme génère une résonance propre, revêt une singularité de sens reliée à notre histoire, à nos représentations, à nos contextes de vie ou de travail. Chacun d’entre nous a peut-être aussi fait un jour l’expérience de la rencontre d’un nouveau-né. Et, quels que soient notre âge, notre culture ou notre lien à l’enfant, ce premier contact est « impressionnant ». La conscience d’être en relation avec une vie nouvelle ré-origine alors notre lien à la vie, questionne notre « être au monde » dans ce qu’il a d’essentiel. Moment miroir de notre propre vie, de notre intériorité, parfois même de notre « inconnaissable ».
Cette première rencontre avec le bébé qui regarde et pourtant ne voit pas encore, qui écoute mais ne comprend pas (au sens cognitif du terme) est déjà fondamentalement un acte de culture.
Si notre société profitait de ce printemps 2016 pour se pencher sur le berceau de sa petite enfance et allait à la rencontre véritable du tout-petit, il y a fort à parier que ce que nous percevons ordinairement comme prioritaire ou essentiel dans nos vies soit fortement réajusté. Une profonde mise en perspective de ce que nous pensons « connu, stable » en nous et autour de nous, au regard de ce qui nous semble « inconnu, à peine émergeant » en cet autre qu’est l’enfant générerait sans doute de pertinentes re-contextualisations et redéfinitions des orientations qui tissent les trames de nos vies familiales, sociales, culturelles, éducatives, économiques et écologiques.
Celle de la construction d’un être, des êtres. Nous savons l’importance des premiers moments de vie, d’accueil et de relation d’un tout-petit pour son existence future. Nous savons aussi l’impact de l’éducation sur l’évolution de nos sociétés. Bébé d’aujourd’hui, parent de demain…
La présence de l’adulte s’axe alors autour de deux dimensions fondamentales, qui ne sont d’ailleurs pas à séparer pour l’enfant, même s’il nous faut souvent les distinguer pour en parler : prendre soin, et introduire à la culture, c’est-à-dire introduire aux langages pour s’appréhender et appréhender l’autre et le monde au maniement de codes permettant le développement de toute relation.
À la croisée de ces chemins de soin et de culture, la présence de l’art comme « langage de la sensibilité » occupe une place particulière. Car l’art ne peut et ne doit être l’apanage des seuls adultes… Picasso disait avoir mis toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. Promener notre regard dans les classes de petite section des écoles maternelles nous plonge dans la redécouverte des harmonies colorées (avec les dessins d’enfants tapissant les murs), des vibrations sensibles de la matière. De son côté, le plus vieux des musiciens continuera de dire qu’il « joue » de son instrument, mettant ainsi encore en partage l’expression universelle de l’enfance, le jeu, source d’équilibre, quête d’harmonie et champ d’interactions avec les autres.
Si beaucoup de personnes connaissent cette expression maintenant largement usitée, encore trop peu nombreuses sont celles qui ont réellement approché l’acte d’éveil artistique et culturel. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, il y a le plan des concepts et le plan du vécu. Les repères conceptuels permettent bien sûr de structurer nos représentations quant aux différentes dimensions qui sont travaillées dans cet espace d’intervention auprès de l’enfance : éveil à l’art, éveil par l’art, éveil pour l’art.
Prenant justement l’exemple de la musique, lorsque cet éveil permet à l’enfant d’accéder à des « construits sonores », nous sommes dans le cadre de l’éveil à l’art. Le langage des mélodies, des rythmes et des harmonies lui tisse peu à peu un « habit culturel sonore », l’enfant établit alors un lien structurant à un environnement de sens et de codes qu’il peut capter, recevoir, mémoriser et reconnaître. Petit à petit se dessine en lui et pour lui un « connu », un « reconnu », quelque chose de partageable avec d’autres, puisque justement on le partage avec lui. Éveil par l’art. Ce sens commun, qui s’élabore progressivement, origine et nourrit sa propre créativité au bénéfice d’expressions futures qui alimenteront sa relation à l’autre, qui le feront créateur d’art et de faits culturels ; un éveil pour l’art.
Si ces repères sont utiles à l’identification des différents types d’interventions, rien ne remplace l’expérience, l’éprouvé qu’il est tout aussi important de traverser pour appréhender ce champ singulier de l’éveil artistique et culturel, de la relation sensible au tout-petit, au carrefour du « prendre soin » et du « faire culture ».
C’est en effet par le vécu, ouvert sur un moment de relation au tout-petit par et avec la musique, que nous voilà propulsés vers un questionnement fondateur : dans cette situation, qui éveille qui ? Alors même que l’enfant est juste au début de son chemin de vie, le musicien qui lui adresse une chanson ou une pièce instrumentale dans une démarche d’attention profonde et d’éveil est tout à l’écoute du moindre signe. Il se voit lui-même mobilisé, révolutionné parfois dans cet instant où tout savoir d’adulte se déstabilise au bénéfice d’un nécessaire et vivifiant réajustement relationnel et sensible. Ainsi, si le musicien participe à l’éveil du très jeune enfant, ce tout-petit ne le ré-éveille-t-il pas au monde, par un encouragement à « cultiver » son être sensitif, à « jardiner son humanité » ?
Neuf Centres de Formation de Musiciens Intervenants (CFMI), fruits d’un protocole d’accord entre le Ministère de la Culture et de la communication et le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, développent depuis maintenant 30 ans la formation de musiciens intervenants que l’on nomme communément « DUMIstes ». En collaboration avec les enseignants de l’Éducation nationale au sein des écoles, ou en écoles de musique et conservatoires, le musicien intervenant participe activement au développement de l’intelligence sensible et créative de l’enfant dans une adresse musicale et sonore de qualité. Au cours de la formation au DUMI, rencontrer les publics des crèches ou structures multi-accueil permet une sensibilisation à l’intervention auprès du jeune enfant.
Le CFMI de Tours, en collaboration avec l’UFR Arts et Sciences Humaines de l’Université François-Rabelais, présente la particularité d’œuvrer depuis longtemps en partenariat avec Enfance et Musique à la formation de musiciens intervenant auprès du tout-petit : un Diplôme d’Université spécifique – le DU « La musique et le tout-petit, la musique et l’enfant en situation de handicap » – réunit ainsi chaque année au sein de ses promotions de stagiaires une pluralité d’identités professionnelles (avec la présence d’artistes, de personnels des crèches, de professionnels du soin, de pédagogues ayant tous des compétences musicales).
« L’avenir, tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre » écrivait Antoine de St-Exupéry. C’est là que se situent notre vocation et notre responsabilité, assurer le développement d’acteurs participant à la construction harmonieuse des êtres d’aujourd’hui et de demain. C’est parce que l’écoute et l’attention sensibles sont au cœur des enjeux de cette formation que la musique peut constituer un espace de relation propice à l’expression singulière de l’enfant, que la musique se révèle… « territoire d’éveil ».
• Isabelle Grégoire
Directrice du CFMI de Tours
CFMI – Université de Tours
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