Sylvain Gaudenzi, sculpteur et plasticien, accompagne des formations au sein desquelles se conjuguent la liberté de se glisser dans la découverte sensorielle et les retrouvailles avec la nature.
Sylvain Gaudenzi sculpte, s’intéresse au dessin, à la lithographie et la nature n’est jamais très loin dans ses œuvres, tant elle l’anime, dans le travail des matériaux (tels le plâtre ou le savon) mais aussi dans ses sources d’inspiration (du fruit tranché à l’articulation d’une épaule).
Depuis longtemps, son activité est associée à la transmission, peut-être parce que lui-même a appris très jeune aux côtés d’un artiste les gestes et le goût pour ce qu’il fait : son envie de donner aux autres va de pair avec la nature de son travail. « La transmission, c’est une histoire d’intériorité, de partage subtil, de plaisir, d’instant présent, d’incertitudes, de regard porteur et bienveillant, de rencontre… »
Depuis de nombreuses années, ses missions de formateur l’emmènent dans une multiplicité de lieux auprès des très jeunes enfants et des professionnels
qui les accompagnent. L’un de ses objectifs est d’inscrire l’expression artistique dans le quotidien des enfants : « donner des idées d’aménagement de l’espace pour une pratique aisée de la peinture, élargir les matériaux et supports, qu’ils soient directement issus des arts plastiques (encre, peinture, gouaches, craies, argile…) ou qu’ils proviennent de l’environnement quotidien transformé alors en terrain d’exploration ; il faut intervenir le moins possible, laisser l’enfant, qui est dans l’instant, tranquille. Il ne pense pas au résultat, il est dans l’émotion, la sensation, l’émerveillement procuré par la découverte ; il dialogue avec la matière, la couleur ».
Ce rapport à l’art des tout-petits, qui ont besoin de laisser une trace, le fascine : « Pour cela, j’ai deux hypothèses : soit l’enfant a déjà conscience de l’amnésie qui nous touche tous et cherche à conserver quelque chose de cette première enfance, soit la peinture est son premier moment d’autonomie, un espace qui lui appartient où il expérimente la solitude, où il se détache. J’ai moi-même,
en tant qu’artiste, cette relation à la solitude et la conscience de la capacité de concentration que nous avons perdue. Il faut faire confiance à la peinture ».
Si le pinceau, que l’enfant choisit, reste un outil de prédilection, Sylvain Gaudenzi considère l’argile, qu’elle soit liquide ou solide, comme une matière fondamentale : « C’est un matériau avec lequel tous les enfants du monde jouent, sauf ceux des sociétés de consommation qui ont perdu le contact avec cette matière qui ne coûte rien, qui demande juste de l’entretien pour être travaillée. C’est une matière ancestrale, celle d’où nous venons et où nous irons. Et ce sont les enfants qui nous montrent comment la manipuler, dans la spontanéité de leurs gestes, sans aucune autre raison que de toucher, comme s’ils étaient encore dans le ventre de leur mère, comme s’ils reprenaient contact avec leur origine. Et c’est très émouvant ».
Ce sont ces gestes désintéressés que Sylvain Gaudenzi cherche à faire retrouver aux adultes dans les ateliers qu’il encadre « dans la nature », à travers la composition d’éléments naturels ou simplement en creusant la terre, à la manière d’une archéologie des émotions et des sensations, sans autre raison que de vivre au présent, de revenir en enfance en quelque sorte.
• Dominique Boutel
Dispositif : Seule à une table, dans un jardin à Fontenay-sous-Bois, lors d’une matinée de juillet 2022. Six autres de mes collègues sont installés en silence devant leurs propres tables.
Sylvain Gaudenzi dispose sur ma table de l’argile imprégnée d’eau. Aucune consigne mais une mise en condition du sensible…
Première rencontre avec l’argile imbibée : retour aux sources primitives. Découverte lente et savoureuse de la matière. Résonance de l’enfant intérieur. Celui qui joue à se masser les pieds avec la terre molle et mouvante de la rivière ; qui s’amuse de cette terre qui sèche au soleil et craquelle sur la peau devenue écaillée.
Exploration de la terre liquide et fraiche. Laisser couler le long des mains, puis maculer de gouttes le fer de la table de jardin. Pressurer ensuite la glaise qui claque et éclabousse. Se laisser surprendre par les bruits occasionnés par cette manipulation de la matière. Plocs… Bruits percussifs et régressifs.
Absence reposante de pensées qui filent et parasitent, je suis axée dans l’instant présent.
Expérience sensorielle qui vient valider de profondes certitudes. Voyage intérieur qui confirme l’urgence absolue de cultiver avec les tout-petits cette connexion aux éléments naturels, à sa propre bulle intérieure. Urgence de résister à la course folle en s’imposant ce temps suspendu. Laisser le tout-petit gratter la terre, se salir, sauter dans les flaques, chasser les trésors. Lui laisser le temps. À portée de main, cette évidence, devenue pourtant objet de rareté. Geste politique de sacraliser et cultiver ce temps précieux. Geste responsable de le transmettre au plus grand nombre.
J’enduis pour finir la table d’argile, je lisse, j’égalise, je polis. Le granulé de la glaise me chatouille les doigts. Je lisse, j’égalise, je polis. Je pense à l’ouvrier silencieux avec sa truelle, ce retraité qui, à longueur de temps, a cimenté et badigeonné, celui qui a quitté son sol pour rebâtir et prendre à nouveau racine sur une autre terre.
Avec l’argile comme fil conducteur, je finis cette traversée avec une conscience plus aiguisée encore de l’offrande de cette terre nourricière qui soude et relie. De la main potelée du tout-petit à la main calleuse de l’aîné.
• Cécile Josseaume, Responsable du centre de formation Enfance et Musique
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