La Cour du Spectateur

La mise en œuvre d’un collectif solidaire fait de ce lieu un incontournable rendez-vous du festival Off d’Avignon.

Au fond de la place Louis Gastin, il est bon de découvrir cet îlot de fraîcheur au cœur de la ruche bourdonnante du festival d’Avignon. Accueil chaleureux à l’entrée d’un immense espace à l’ombre des platanes. On y vient pour les spectacles mais aussi pour se poser, prendre un rendez-vous loin des terrasses bondées. Le décor est posé : petites tables de jardin, discussions animées, rencontres avec les artistes, un peu plus loin un atelier, une librairie… La cour de l’école Persil Pouzaraque, mise à disposition par la mairie, se transforme en grand théâtre éphémère avec ses 5 salles de classe métamorphosées en autant de lieux de représentations et ses espaces extérieurs où la convivialité est de mise. 18 spectacles dont 4 pour le très jeune public sont programmés pour l’édition 2024.

UN LIEU DE VIE

Depuis vingt ans l’école s’inscrit dans le paysage du festival. Le projet, piloté par la Ligue de l’Enseignement du Vaucluse, a connu différentes formes. D’abord dénommé « La FOL 84 fait son festival » dès 2004, le projet évolue et devient « L’école du spectateur » en 2009. Le nombre de spectacles augmente mais une perte de légitimité se fait jour. Il faut attendre 2020 avec l’arrivée d’une nouvelle équipe pour noter une évolution sensible. L’ensemble des propositions et leur mise en œuvre sont repensées. Émergent alors une nouvelle période et un nouveau projet avec « La Cour du Spectateur ». Frédérique Trousson-Vogler, directrice générale de La Ligue du Vaucluse et Florian Guyot, responsable de la programmation sont bien conscients du potentiel du lieu mais les financements sont à cette époque insuffisants. Il leur apparaît nécessaire de repenser le fonctionnement et d’imaginer une évolution par étapes. Leurs profils complémentaires sont à l’origine d’un nouveau modèle économique qui alliera gestion et exigence artistique.

LE COLLECTIF SOLIDAIRE

Florian Guyot souligne qu’il « n’était pas dans les objectifs de faire prendre en charge par les compagnies une simple location de salle mais bien de prendre part à un projet via une convention de collaboration ». En 2021, se met donc en place un fonctionnement qui implique chaque partenaire grâce à un contrat de collaboration. Les compagnies s’engagent à faire vivre le lieu au-delà de leurs propres représentations. Avec une mise en commun du matériel technique, un engagement à donner du temps pour animer le lieu, La Cour du Spectateur ne doit pas être un simple lieu de passage ou de consommation culturelle. Chaque année de nouvelles propositions peaufinent le modèle : par exemple, la mutualisation des camions pour arriver jusqu’à Avignon et la question des climatiseurs qui sont en cours de réalisation ; la dimension écologique faisant aussi partie des préoccupations. L’élaboration du budget est également inédite dans le festival Off. Un système de parts, souscrites par les compagnies et établies en fonction de la taille des salles occupées, permet d’équilibrer les dépenses (communication, gestion de billetterie, salaires de la Ligue, équipes techniques et administratives). Les recettes sont déduites en fin de festival et baissent le montant de la part souscrite. On est loin de la location de salle, chacun se sentant impliqué dans la vie du lieu. Le tractage et la parade se déroulent au nom de La Cour dans son ensemble et non par spectacle ou par compagnie.

Enfin, toujours pour amoindrir les coûts et optimiser l’espace commun, une librairie est proposée par l’éditeur Émile Lansman, les associations affiliées à la Ligue animent les ateliers, de multiples propositions s’ajoutent à la programmation. Les artistes donnent de leur temps pour gérer La Cour et il n’est pas rare de retrouver la directrice générale à l’accueil du public ou à la guinguette ! La programmation procède du même esprit. Là encore c’est la notion de collectif qui détermine les choix. Un comité de programmation examine dans un premier temps les candidatures. 87 demandes cette année. La lettre qui les accompagne est déterminante dans le premier tour de sélection des compagnies. C’est avant tout « un esprit » qui est retenu à parité avec la qualité artistique. De nombreuses étapes de validation jalonnent les choix : une vingtaine de personnes étudient les candidatures, donnent un retour sur les qualités artistiques et les lettres, un jugement majoritaire détermine une première sélection. 18 compagnies sur 35 sélectionnées sont programmées cette année, en fonction d’un équilibre entre les tranches d’âge, la faisabilité technique, le propos.

À l’issue de ce travail minutieux, la programmation est fixée 6 mois avant le festival. Frédérique Trousson-Vogler tient à souligner que « ces temps d’échange et de préparation constituent un réel projet de la Ligue. Des collègues et des bénévoles s’impliquent. Ce travail est sans doute chronophage mais tellement plus puissant » …

UN FESTIVAL TOUTE L’ANNÉE !

Ce tour d’horizon ne serait pas complet si l’on omettait le travail au long cours. Des interventions en amont dans les écoles sensibilisent enfants et enseignants. Les deux directrices (maternelle et élémentaire) de l’école Persil Pouzaraque collaborent avec l’équipe. Des places sont offertes aux enfants et un spectacle leur est proposé en avant-première. « La collaboration a beaucoup évolué » précise Florian Guyot. « La Ligue souhaite être complémentaire de l’école et par là même poursuivre son rôle de fédération d’éducation populaire. Les liens avec le territoire, avec les groupes sont essentiels pour renforcer notre action ».

Alors pas d’hésitation, rendez-vous donc dans cet îlot de fraîcheur qui contrebalance la fièvre festivalière et questionne positivement une vision consumériste du monde.

• HK