En ce début du XXIe siècle, il est urgent de définir des projets qui aideront à former des hommes et des femmes aptes à vivre ensemble, aptes à se construire une vraie identité. L’art et la culture sont des routes privilégiées et pas assez empruntées pour cette destination.
Citoyenneté. Le mot, ces dernières décennies, a été remis à la mode. Il a été employé à tout bout de champ et parfois avec exagération : projet citoyen, attitude citoyenne. Mais, au vu des mutations qui se font ou se projettent pour le siècle à venir, il est important de la définir encore et encore, en prenant conscience de son véritable contenu.
Être citoyen, c’est participer à la vie de la cité, à sa construction ; c’est savoir vivre ensemble, c’est édifier en soi l’idée de démocratie, comme ça, au jour le jour. Bonjour, bonsoir. Et si on commençait justement par ça ? Politesse, courtoisie, élégance du cœur, respect. Des petites choses oubliées, mais si fortes qu’elles définiront l’être de demain. Entre le barbare et le civilisé. Respecter l’autre, l’étranger, celui qui est différent. C’est peut-être encore d’autres choses. Celles-ci nous ont paru essentielles lorsque nous avons désiré consacrer un numéro de Dada à Art et Citoyenneté(1).
Après cette tentative de définition, nous avons à nous interroger. Quelle est la relation entre art et citoyenneté ? L’art peut-il participer à l’éducation citoyenne ?
A première vue, l’art n’est pas le mot que l’on accole le plus volontiers à citoyenneté. On dirait d’abord beauté, harmonie, plaisir. Cependant l’art est l’expression des civilisations. Il en est la mémoire aussi. Et depuis la Grèce, en passant par la Révolution et jusqu’à aujourd’hui, les artistes ont dit, exposé, expliqué la citoyenneté en relatant en images, en mots, en volumes, les événements qui la marquent. Il suffit de rappeler quelques images ou quelques artistes : Rodin et Les Bourgeois de Calais ; Jacques-Louis David et Le Serment du jeu de Paume ; des images de la Révolution, Picasso et Guernica ; Miro et Aidez l’Espagne. Toutes images qui, directement ou indirectement, parlent de liberté, des progrès des Droits de l’Homme, de la beauté d’une ville, de ses citoyens célèbres, de ceux qui ont fait les cathédrales et les monuments. Abolition de l’esclavage ; Fêtes nationales ; Edit de Nantes. L’image a une force incomparable. « Une image vaut mille mots », dit un proverbe chinois.
Par essence, l’artiste et l’art sont des éveilleurs de conscience, des guetteurs, des veilleurs d’humanité. Aux moments cruciaux de l’Histoire, particulièrement aux XIXe et XXe siècles, des artistes se sont engagés dans des combats citoyens contre le fascisme, le nazisme, les camps, la guerre d’Algérie ; d’autres ont témoigné. Tout cela, les images qu’ils produisent le disent, l’expliquent, l’expriment. Et les poèmes. Et le cinéma et la photographie.
Dans le même temps, ces artistes ont inventé des métissages vraiment originaux. Les formes nouvelles qu’ils ont créées depuis le milieu du XIXe siècle ouvraient aux échanges, à la compréhension et à l’acceptation d’autres formes d’art. Cette liberté que donne l’art est bien connue des régimes totalitaires qui visent en premier l’art et la culture pour modeler les esprits, emprisonnent les récalcitrants, détruisent les œuvres trop parlantes. Si l’art a parfois servi, et sert encore les tyrannies, il est aussi, comme l’a dit Picasso, « un instrument de guerre » contre la tyrannie. Instrument de guerre oui, éveilleur de conscience certainement et instrument a fortiori d’éducation à la citoyenneté et de bonheur de vivre. L’artiste ne crée pas pour rendre citoyen, mais ce qu’il exprime doit éveiller les consciences, faire éclater les idées reçues, réconcilier, guérir.
La civilisation et les modes de vie qui se mettent en place en ce début de IIIe millénaire, en tout cas en Europe, vont donner des temps libres, des loisirs. Il faudra, il faut déjà pour certains, apprendre à « gérer » ce temps. L’art, les arts ont un grand rôle à jouer, une place prépondérante à occuper pour savourer ces temps, les remplir, les nourrir. Il faut donc familiariser les plus jeunes. Il me semble urgent, urgentissime même, de leur ouvrir les portes de l’art et de la culture, de la maternelle à la terminale. L’enfant est par essence avide d’apprendre, avide de créer : encore faut-il lui donner les clés, encore faut-il le mobiliser, le rendre actif, l’encadrer, lui donner du plaisir, des curiosités. Le tirer vers le haut. Eveiller le goût, susciter des passions. Eduquer le jugement à travers musique, peinture, théâtre, danse. « C’est par l’aurore que l’on va de la nuit à la clarté » ! Pour le soustraire, en plus, à l’abrutissement des programmes audiovisuels pauvres, au laminage terrifiant des personnalités, en lui offrant autre chose.
Je voudrais rappeler que dans toutes les civilisations qui ont brillé, les arts étaient enseignés comme des matières essentielles à l’esprit et à la construction de l’homme. Comme on apprend à lire, à écrire, à compter pour participer à la vie de la communauté, il faut apprendre l’art, pas à pas. Lorsqu’au Moyen Age, on a enseigné les Arts Libéraux, la plus haute valeur était donnée à la musique qui enrichit l’âme. Bien sûr, on ne parlait pas de citoyen, mais de parfaire l’éducation, de donner les clés d’un accomplissement. Quel que soit le mot qui est employé, élever un être humain vers des valeurs qui ne soient pas seulement matérialistes, c’est l’inscrire solidement dans la communauté, c’est l’inciter à participer à la vie de cette communauté, l’engager dans la vie sociale, le valoriser, l’individualiser. L’art, les arts y conduisent plus que tout autre moyen, parce qu’ils enseignent la liberté de l’esprit et du corps, ils libèrent, ils donnent la joie.
Encore faut-il avoir les moyens de conduire cette éducation citoyenne à travers l’art. Pour l’instant, il y a des bonnes volontés, des passions, des efforts de l’Etat, beaucoup de discours, mais certainement pas assez de moyens pour généraliser des pratiques nécessaires. Des programmes trop chargés. Nombre d’enseignants sont démunis de formation alors qu’il faudrait disposer de professionnels de l’art, familiers des enfants ou adolescents pour les encadrer ; avoir des ateliers, très régulièrement, monter des projets sur des thèmes. Ceux qui disposent de ces moyens le font merveilleusement bien, mais ils sont trop peu nombreux à pouvoir se battre. La notion de création, d’art, de formation s’applique non seulement aux images, aux couleurs, aux sons, aux gestes, mais s’étend à tous les problèmes de la société. Notre société a un énorme besoin d’art. C’est une nourriture étrange, inhabituelle, qu’il faut goûter à petits pas et que seule l’éducation peut donner.
Il semble donc que la priorité est de donner une formation à l’éducateur, puis les moyens de décrypter les images, de les présenter, de les expliquer dans leur contexte, de croiser les disciplines et, tout aussi important, de laisser le champ libre à l’imagination, à la créativité.
Une humanité éclairée est une humanité cultivée et, pour avoir des jeunes « éduqués », il faut les mobiliser. Encore faut-il savoir leur donner le plaisir d’apprendre, de découvrir, d’approcher. Avec un changement de mentalité et des moyens appropriés, cela est possible, car l’éducation artistique se fait par l’outil et par la pensée. Regarder, explorer, créer, participer : les jeunes trouvent dans la créativité un épanouissement maximum et c’est à travers la créativité que les idées de tolérance, de communauté, de responsabilité peuvent passer. Tous les projets, nous le savons bien, nous, éducateurs ou médiateurs, qui mobilisent et impliquent classes, groupes, quartiers, génèrent une activité, des fêtes, des rapprochements.
L’art, qui participait de la formation de l’être humain et de son insertion dans la communauté, peut et doit assumer cette fonction d’éducateur civique. A nous, éducateurs et médiateurs de tous poils, d’être de bons passeurs. L’art fait partie de la vie. Il ne peut être réservé à une élite. Il apprend l’art de vivre, il apporte des joies profondes – être heureux participe aussi de la formation – , il donne les outils d’observation, de réflexion, d’ouverture, des outils indispensables à nos futurs citoyens.
Héliane BERNARD, rédactrice en chef de la revue Dada
Extrait de la revue Nous Voulons Lire ! (n°136)
(1) revue Dada n°59
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