Toupie or not Toupie

Une résidence dans un centre de protection maternelle et infantile (PMI) : un dispositif qui questionne le fragile et indispensable équilibre entre la dimension sociale de la présence des artistes dans un lieu de vie et leurs projets artistiques.  

Notre compagnie, À Tulle Tête, a entrepris un parcours artistique à la PMI Verdun de Bondy en Seine-Saint-Denis dans le cadre du dispositif Hisse et Ho ! initié par le Conseil départemental. Cette résidence s’inscrit dans une politique culturelle suivie, particulièrement grâce aux résidences artistiques pour les enfants et les jeunes, de la crèche au lycée.

Après un appel à projet, au cahier des charges précis comprenant une concertation préalable avec l’équipe, 10 rencontres avec les familles, des temps de régulation, une journée de formation pour l’équipe, un spectacle et enfin un bilan ; le Conseil départemental nous a proposé de mener la résidence en PMI lors des consultations médicale. Il s’agit du seul projet au sein du dispositif Hisse et Ho ! dans ce type de lieu d’accueil. Nourris d’expériences antérieures et de recherches élaborées pour la dernière création Toupie or not Toupie, nous avons souhaité nous immiscer de manière poétique dans la vie de la PMI et de ses « habitants », enfants et familles dans la salle d’attente. Une présence artistique délicate pour enjouer, décaler, détourner l’objet des visites. 

Nous intervenons à deux : Edgar Chavaudret, musicien et moi-même, Dominique Verpraet, artiste chorégraphique. Nos complicités et l’habitude d’un travail commun sont un gage de réussite pour cette présence particulière. 

PRÉPARATION MINUTIEUSE

En décembre 2022, nos demandes spécifiques sont proposées et discutées avec l’équipe : modifier l’espace d’accueil, ne pas sortir trop de jouets, s’autoriser des échappées artistiques dans la salle de consultations du médecin, éviter l’utilisation du portable, avoir « une loge »… Nous évoquons l’importance d’une séance d’observation et la possibilité d’un temps festif autour de notre dernière création. Un partenariat avec la médiathèque est envisagé. 

Une séance d’observation d’une matinée dans la salle d’attente et la discussion avec l’équipe nous permettent de réfléchir aux modalités de nos rendez-vous artistiques. Nous repérons les différentes étapes de la consultation : accueil de la famille, échanges, pesée, médecin… Ce qui nous permet d’imaginer quand et où notre intervention trouverait du sens, comment aborder les familles, quels espaces investir… L’équipe nous raconte la vie des consultations, similaires mais différentes à chaque fois. Nous abordons les modes de relations possibles avec les familles dont une majorité parle peu ou pas le français.

UN PARTAGE INSOLITE

Avant la première consultation nous discutons avec l’équipe du déroulé de la matinée. Chaque rendez-vous est différent. Les tensions du monde, l’arrivée du printemps ou une pluie diluvienne mais aussi l’état de santé des enfants, l’histoire de chaque famille, sa capacité à accepter et recevoir notre présence donnent sa couleur de la séance. 

Les familles arrivent l’une après l’autre. Le lien avec l’enfant et le parent est insolite, intime, délicat, les rencontres souvent individuelles. Nous sommes là, à côté de ce duo/trio en symbiose, proches de la table de pesée, sur le tapis en attendant la rencontre avec le médecin, à l’écart pour accompagner l’endormissement du bébé, ensemble pour détendre les corps et sécher les larmes après le vaccin ! 

Le partage artistique se fait simplement : parfois calme, une danse des mains partagée avec un bébé, une mélodie à la flûte, une berceuse à deux voix pour accompagner le déshabillage, le mouvement d’un tulle pour croiser des regards, recouvrir un visage, faire vibrer l’espace. Parfois 2 ou 3 familles sont là en même temps. À nous de créer du lien mais aussi d’être là pour chacun. Les familles font groupe, nous dansons et chantons ensemble. Souvent le médecin ouvre grand la porte de son cabinet, les consultations ont changé de registre ! 

CRÉER UN COCON POÉTIQUE

Parce que la présence d’artistes dans une PMI est bien rare et que les familles viennent avant tout pour un rendez-vous médical, nous percevons que notre présence est déroutante. Je mesure combien notre rôle d’artiste trouve là une dimension importante. Décaler le monde, transformer la gravité ou la somnolence du quotidien, s’autoriser à…, faire émerger la fantaisie, le grain de folie… Et dans notre cadre, donner de l’importance à une caresse, un jeu de doigts, à une voix mélodique, à l’écoute fine du babillage et des premiers mots du tout-petit pour en faire musique, rythme, histoires à dormir debout.

Pas évident pour ces familles d’aller chercher ce qui les autorise à recevoir et vivre ces moments de danse et de musique, pour eux et leurs enfants. Nous devons être des éponges sensorielles afin de percevoir le bon moment pour danser auprès des parents, avec leur bébé afin de créer un cocon poétique. À nous de mesurer la confiance acquise pour oser prendre leur enfant dans nos bras ou les inviter à se saisir des instruments avec nous. 

L’encadrement, la bienveillance et le dialogue permanent avec l’équipe de la PMI sont des paramètres essentiels à la « réussite » de cette résidence. Les professionnels, très attentifs, sont entièrement partie prenante. Il est évident que cette connivence favorise la relation avec les parents et les enfants : comme une autorisation pour tous à entrer dans cette aventure singulière. Cette complicité s’est renforcée grâce à une après-midi de « formation » proposée à l’équipe.  

Préparée avec Fatiha, éducatrice de jeunes enfants et relai du projet, cette rencontre a été l’occasion pour chacune de vivre un moment de danse, de chant et de musique. J’apprécie leur démarche à quitter pour un temps leur mission d’accompagnement médical et à laisser s’exprimer leur fantaisie, leur expression et leur créativité. 

À ce jour, les familles sont informées et invitées à la représentation de Toupie or Not Toupie organisée en mai à la médiathèque. Pour certaines sans doute ce sera une première expérience du spectacle vivant et peut-être aussi une première découverte de ce lieu culturel dans la ville. 

Le bilan, étape importante pour tous, est programmé en juin. 

• Dominique Verpraet