Peinture de Sylvain Gaudenzi
Peinture de Sylvain Gaudenzi

Agir pour demain

Agir pour que le jour d’après soit porteur d’une nouvelle conscience et nous donne la force d’un engagement collectif pour un monde meilleur…

 

Artiste engagé au Divan Lyrique, association dont l’une des missions propose des concerts auprès des tout-petits en Seine-Saint-Denis, associé également à l’action des soignants chanteurs de Grand air et petits bonheurs au CHU de Toulouse, j’aurais bien sûr préféré aborder ces actions qui me passionnent en évoquant les débats, échanges et confrontations captivantes que nous partageons dans le réseau des acteurs de l’éveil artistique, animé par Enfance et Musique.

En répondant présent à la sollicitation d’Hélène Kœmpgen de participer à ce numéro de Territoires d’éveil et considérant que pour l’heure, l’urgence est ailleurs, auprès des artistes, c’est avec ma casquette d’artiste militant que j’ai décidé de témoigner. 

Malgré l’arrêt brutal de nos activités artistiques, le temps nous manque, tant le travail collectif est devenu écrasant ! En deux mois les réunions en vidéo conférences et les contacts se multiplient, d’abord avec nos instances du Syndicat Français des Artistes (SFA) interprètes, avec notre fédération CGT du spectacle, avec nos partenaires : Audiens, Afdas, Adami, FNAS, Pôle emploi, les tutelles des ministères ou les collectivités locales. Les problèmes à résoudre sont immenses.

Les questions, les demandes, et les appels à l’aide des artistes se multiplient. De nombreux groupes de travail se sont mis en place à l’intérieur de nos organisations pour élaborer des questionnaires à leur attention, construire nos propositions afin de tenter de limiter la casse et de répondre dans l’urgence au fil des annonces, des ordonnances, des décrets que nous devons analyser et décrypter.

Cette crise sanitaire agit comme un révélateur de tout ce que nous dénonçons depuis longtemps aussi bien au niveau de notre pays qu’au niveau international. La crise en effet s’est révélée globalement dans toutes ses composantes : environnementale, politique, sociale et économique. Elle met en lumière de manière violente toutes les fragilités humaines et les inégalités grandissantes. 

Depuis déjà quelques décennies nous assistons à une dérégulation de l’État dans une pure démarche idéologique libérale. Elle a atteint son apogée de manière caricaturale avec l’arrivée de ce gouvernement, qui a précipité en l’amplifiant la destruction déjà bien en cours des services publics, que ce soit au niveau de la santé, de l’éducation, de la justice, de la formation et enfin de notre secteur, la culture. 

C’est donc d’un changement radical de système dont nous avons besoin pour réussir ce que nous souhaitons toutes et tous : replacer l’humain au cœur de nos sociétés, pour garantir à nos enfants la sécurité environnementale de la planète, la paix entre les peuples, la liberté et la solidarité. 

Ce qui est en effet terrible et remarquable dans le système capitaliste d’aujourd’hui, libéral et mondialisé, c’est à la fois son autoritarisme dans la répression des contestations sociales, la réduction des libertés individuelles et collectives et paradoxalement son interventionnisme pour « ubériser » les relations sociales et la destruction de tous les « conquis sociaux » des salariés en matière de conditions de travail.

Au moment où j’écris ces lignes, je devais faire partie pour le SFA d’un groupe de travail « Musique » sur les conditions de « la reprise post covid », décidé par le CNPS (Conseil national des professions du spectacle) et organisé par la DGCA (Direction Générale de la Création Artistique). Nous apprenons alors que le ministère a décidé de mépriser et de piétiner les corps intermédiaires (ici les organisations syndicales de salariés et d’employeurs) en s’abstenant de les convoquer. 

Le choix de l’État est bien une fois de plus de nommer et d’appeler exclusivement les partenaires qu’il sélectionne pour l’accompagner dans ses politiques afin qu’elles ne soient ni débattues ni contrariées. Nous avons réagi immédiatement pour les contraindre à changer d’avis, mais rien n’est à ce jour assuré ! Nous avons observé le même phénomène lorsque notre président, accompagné de son ministre de la Culture qui prenait des notes studieuses lors d’une opération de communication, a dialogué avec des artistes du « show biz », certes respectables mais peu représentatifs de l’ensemble des artistes de notre pays. Comment alors construire sans dialogue, sans échanges, sans confrontations ? Comment imaginer mettre en place des préconisations sans l’avis des représentants d’artistes qui connaissent intimement et profondément leur métier ? Cette méthode catastrophique, totalement contreproductive, n’aboutira à aucun consensus, et aura pour principale conséquence des difficultés d’application pour les employeurs et les salariés dans leurs lieux de travail. Cette situation illustre dramatiquement la grande difficulté rencontrée depuis plus de deux ans à pouvoir négocier avec l’État, quel que soit le sujet, pour avancer, progresser, innover, tendre vers un mieux-être de nos professions. Le pouvoir en place a pour seul véritable objectif de raboter les acquis sociaux, abaisser les protections, saper nos droits fondamentaux à proposer, réagir et à nous mobiliser collectivement. 

Jamais les services du ministère de la Culture comme les DRAC n’ont été attaqués et dépecés de cette manière ! Dans mon secteur par exemple, nous réclamons depuis des mois un interlocuteur « art lyrique » pour porter le dossier « opéras, ensembles et festivals ». La problématique de l’emploi des artistes lyriques solistes sur laquelle nous avons beaucoup travaillé à partir d’une étude dans les diverses structures de notre territoire ne peut se résoudre faute de volonté politique ou tout simplement d’un interlocuteur. 

Comme dans tous les autres secteurs, nous avons besoin de la continuité d’un service public de la culture ambitieux qui puisse irriguer tous nos territoires. Nous ne demandons pas l’aumône mais un vaste plan pour la culture associant les institutions de référence mais aussi les compagnies, les associations petites ou grandes. Le pouvoir en place ne nous parle pas de métiers, d’emploi, de projets, il nous parle du nombre d’heures pour avoir droit au chômage ! 

La culture est une affaire trop sérieuse pour improviser ou s’en décharger totalement sur les collectivités locales dont les choix culturels peuvent changer radicalement d’une élection à l’autre. 

Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas construire avec les régions, les départements, les villes, les communautés d’agglomérations. Nous observons par exemple un projet qui donne une lueur d’espoir, « Ouvrir l’horizon » auquel participent des artistes militants du SFA, dans la région Pays de Loire. Il consiste à pouvoir continuer à proposer dans la période qui vient, dans des conditions sanitaires sécurisées, des petites formes de spectacle vivant avec un, deux ou trois artistes, en plein air avec un maximum de 10 spectateurs. 

Dans le secteur de la petite enfance, c’est ce que nous faisons depuis bien longtemps avec une capacité de création et d’imagination sans limite… Encore faut-il trouver les bons partenaires autour de projets élaborés collectivement !

 

ARTISTES INTERMITTENTS 

Quelques informations concernant la situation des artistes intermittents ; 

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Le prolongement des droits initialement prévu jusqu’au 31 mai sont prolongés jusqu’au 30 juin par un délai administratif pour les artistes intermittents étant en fin de droit au 1er mars dernier. 

Concernant les annonces de « mesures fortes », nous attendons et réclamons des précisions sur la méthode et sur le fond. 

Pour la prolongation des droits jusqu’au 31 août 2021, la ministre du travail évoque un projet de loi qui tarde à arriver à l’assemblée nationale. Le ministre de la Culture s’est engagé sur une consultation des syndicats. Mais quand verrons-nous ces projets de texte ? Comment pourrons-nous en négocier le contenu ? Nous n’en savons rien pour l’instant. 

Pour terminer je voudrais nous lancer une invitation à nous engager partout où cela est possible : collectifs, mouvements, partis, syndicats… 

Ces endroits et particulièrement les syndicats me semblent être au plus près de nos professions, avec de solides bases historiques, les connaissances indispensables des dossiers et de multiples partenaires pour porter enfin nos valeurs humanistes communes. 

Face aux enjeux immenses, environnementaux, sociaux, économiques et démocratiques, tout simplement de survie qui nous attendent, c’est aussi un combat idéologique que nous devons mener collectivement dans notre pays et partout dans le monde. C’est le moment ou jamais de bouger collectivement. Individuellement nous ne pourrons que subir. Ensemble nous avons une chance de construire enfin pour le long terme. 

Nous comprenons plus que jamais le risque qui serait de continuer comme avant. Il nous mènerait à notre perte. Il est devant nous, à très court terme ! 

 

• Bertrand MAON, artiste lyrique
Membre du conseil national et du bureau national du SFA

 

Retrouvez toutes nos propositions : http://www.fnsac-cgt.com/article.php?IDart=1635&IDssrub=214

SFA (Tous les métiers sauf les instrumentistes) : https://sfa-cgt.fr/accueil

SNAM (Uniquement les musiciens instrumentistes) : https://www.snam-cgt.org/

Couverture Territoires d'éveil 18

Territoires d’éveil n°18

Publication : Juin 2020
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