Murmure du son

Cette jeune compagnie installée à Caen mène de front des projets scéniques et des interventions de terrain. Toutes ses activités confirment un ancrage croissant dans la région normande. Avec la volonté d’exporter les savoir faire et les créations au-delà de son territoire actuel. 

L’histoire commence en Limousin. Hélène Moulinier, titulaire d’une licence en sciences de l’éducation est institutrice. Elle complète sa formation par des cours de piano, de guitare, de formation musicale, s’inscrit à l’Institut régional des éducateurs, prend des cours de musicologie à Tours et…se pose des questions. « Avec tous ces appuis théoriques, je ne me sentais pas pour autant capable d’improviser librement, d’harmoniser… J’étais mécontente de ne pas trouver un fil conducteur par rapport aux formations que j’avais suivies. » Elle rencontre un professeur de formation musicale qui accentue cette prise conscience, enseigne elle aussi la formation musicale et se rend compte de la difficulté de transmettre sans passer par le sens personnel d’une démarche. « Je cherchais confusément une méthode pour enseigner ; je me suis penchée sur les stades de développement de l’enfant et très vite je suis remontée au tout-petit. J’ai eu envie à ce moment là d’intervenir dans le domaine de la petite enfance, de les observer. Avant le plaisir du son, je voyais le plaisir du mouvement. Les tout-petits sont dans leur corps. » C’est un déclic. Hélène Moulinier quitte son métier d’enseignante, elle suit une formation Enfance et Musique et va jusqu’au bout de ses envies, de son projet personnel : créer un spectacle pour les petits. 

« Avec la création Et rond et rond, le changement a été phénoménal. J’ai compris la notion de l’enfant intérieur. J’étais à l’époque moitié professionnelle et moitié amateur, sans grande connaissance du spectacle vivant ». L’association Musique et Jeune Public lui permet en 2001 de créer avec Nathalie Courtioux Robinier le spectacle L’arbre aux lumières. « Ce n’était pas un concert mais une histoire racontée avec des sons. Nous avions créé un espace avec quatre arbres, les quatre éléments et quatre espaces scéniques… J’ai compris à ce moment là que j’étais capable de me lancer dans l’aventure, j’ai retrouvé ma créativité. L’arbre aux lumières correspondait à mon chemin personnel, c’était enfin la première mise en forme de mes acquis ! » Après soixante deux représentations dont une douzaine dans des lieux de la petite enfance, Hélène Moulinier considère qu’il lui est impossible de s’arrêter là.

Arrivée en Basse Normandie, un nouveau spectacle

Elle fonde la compagnie Murmure du Son et crée en 2004 son deuxième spectacle Bal d’Ô avec François Boros. « Je ne sais pas travailler toute seule et j’ai constamment besoin du mélange de deux créativités. Quand je suis arrivée à Caen, tout s’est mis en place grâce à la rencontre avec François Boros. J’ai ainsi accédé peu à peu à une professionnalisation. » L’identité artistique se construit : faire de la musique avec des objets sonores, détourner des instruments, jouer avec sa voix.

Bal d’Ô, des balles et de l’eau, des sons et des bulles : « Pour pouvoir grandir, développer son imaginaire, inventer, le tout-petit va d’abord explorer, imiter le monde qui l’entoure et délimiter son territoire. C’est à partir de cette notion de construction de l’identité que le spectacle a été créé. Conçu autour du chant et du mouvement, Bal d’Ô n’est pas un bal… mais un spectacle qui s’adresse aux enfants de un à cinq ans. La particularité scénographique est son double plateau ; deux espaces scéniques séparés qui interagissent pour faire appel à l’imaginaire. Chaque spectateur, de sa place, voit un spectacle et en devine un autre. Il le devine par des sons, par des ombres, par des objets qui apparaissent de l’envers du décor ». 

Le public au départ réparti de chaque côté de la scène ne voit en effet pas le même spectacle, un rideau les sépare. Est-on dans une chambre ou au bord de la mer ? Deux mondes s’interpellent en sons et en chansons. Elle, est accompagnée de bambous et de calebasses, joue en douceur dans un univers orange et feutré, danse entourée de bambous et de balles sonores. Lui, de l’autre côté, évolue dans un monde bleu, celui de l’eau et du verre. Des bois tibétains, une guitare et …ses pieds répondent avec malice à l’appel des balles. Les enfants tentent de deviner ce qui se passe de l’autre côté. À mesure que le temps s’écoule, des objets commencent à bouger et passent entre les deux maisons. Il n’y a pas vraiment d’histoire, les enfants peuvent se la créer. Ils devinent ce qui se passe de l’autre côté jusqu’à ce que les sons et les couleurs se mélangent : « L’objectif est de permettre de solliciter l’imaginaire des enfants. À la fin, le rideau tombe et les mondes se rejoignent mais avant l’ultime rencontre, chacun a pu imaginer ce que cache l’autre univers ».

Précédemment créé en Limousin, Bal d’Ô est plus précisément une recréation, plus qu’une reprise. Trois mois de travail pour faire des choix, sélectionner des objets, les détourner. « J’ai retrouvé des sensations d’enfant, le bleu des barils de lessive par exemple me replongeait dans des souvenirs lointains. Nous avons apporté chacun des matières avec lesquelles nous nous sentions bien ». De ce minutieux travail de recherche nait l’envie de poursuivre, de donner vie à d’autres initiatives. L’association Musique etc. est créée dans la foulée, les activités se multiplient.

Grand Ouest et nouveaux horizons

Après deux cent cinquante représentations du Bal d’Ô, Murmure du son aurait presque trouvé une vitesse de croisière. « La compagnie crée des spectacles de théâtre musical où la matière sonore devient narratrice de l’histoire qui se joue. Il ne faut pas attendre un conteur traditionnel, les sons occupent cette fonction. Pas de lutherie conventionnelle non plus mais une majorité d’objets détournés. L’intention artistique commune à chacun de nos spectacles est de créer des ponts entre les musiques. Des prémices de la musique concrète jusqu’à la chanson en passant par les musiques traditionnelles, tous les répertoires traversent nos spectacles en assurant une unité et une identité musicale nouvelle. » 

Cependant Hélène Moulinier et sa compagnie ne s’arrêtent pas en chemin. Dès 2006, l’association Musique etc. est à l’initiative des Rendez-vous à la cabane, journées de rencontres/débats, spectacles et ateliers. La compagnie Murmure du Son crée le spectacle ColimaSon en 2008. 

Pour les musiciens et les professionnels de la petite enfance des formations voient le jour. Des ateliers sont également proposés pour accompagner le tout-petit dans le monde des sons, de la musique, du corps et des histoires. Différents thèmes orientent les contenus de ces ateliers : la parentalité, l’éveil sonore et musical, les comptines et jeux de doigts pour les tout-petits…

« Les objectifs de ces séances sont multiples. En acquérant une bonne coordination motrice, l’enfant se construit des repères dans l’espace et le temps. Le jeu musical, sensoriel, la participation aux ateliers sont un moyen d’échange avec les autres enfants, amenant le tout-petit à faire ses premiers pas vers une socialisation. L’écoute de ses propres sons, mots, babillages, la conscience de ses gestes lui permettent de devenir plus attentif et de développer sa mémoire. »

La majorité de l’encadrement des ateliers est confiée à Benjamin André. Lors des séances, la production sonore du tout-petit prend tout son sens dans sa relation avec l’adulte par une écoute privilégiée et valorisante. Lorsqu’il est écouté – sans jugement de beau ou de juste – son potentiel expressif est libre de s’épanouir. 

Les ateliers d’éveil comme les spectacles sont donc deux supports permettant l’accès à la culture (pour les enfants et leurs familles). L’objectif est de développer différents modes d’approches de l’éveil artistique, celui du spectateur et celui de l’acteur, participant actif. 

Murmure du Son projette de poursuivre un travail de terrain à moyen terme dans la région caennaise mais pense également à exporter de nouvelles créations, au delà des limites régionales. ν  H.K.