Un peu à l’écart du centre ville, le quartier des Gauchetières à Nogent le Rotrou
aligne ses immeubles. Juste en face de l’école maternelle, le lieu d’accueil enfants/parents est un point de rendez-vous pour les familles. À La Luciole, on vient parler de ses difficultés, on s’installe un moment. Les familles y trouvent une écoute : une parenthèse dans un quotidien parfois difficile.
Le lieu d’accueil, de rencontre et de jeux pour les enfants de la naissance à l’école maternelle existe depuis 1986. Labellisé par la Caf (Caisse d’allocations familiales) en 2009, son avenir est aujourd’hui incertain bien qu’une centaine d’enfants le fréquente chaque année. Un projet de rénovation du quartier prévoit de démolir en 2012 l’immeuble qui abrite les locaux de La Luciole.
Les familles utilisent l’espace comme elles le souhaitent et « dans ce lieu où l’on ne crie pas » accompagnent leurs enfants dans l’espace « patouille », l’espace motricité ou encore la grande salle avec tous ses jeux de manipulation. L’espace cuisine est un endroit particulier où l’on peut parler, sans la présence des enfants. Dans ce lieu de rencontre et de dialogue, on prend le temps d’accompagner l’enfant dans ses apprentissages et ses découvertes, on prend le temps d’écouter et de conseiller les familles. L’enfant doit toujours être accompagné « d’un adulte qui le connaît bien ». Viennent ici des personnes très isolées, sans réseau familial, des familles en grande difficulté. On parle des problèmes de sommeil, d’alimentation, d’autorité, de propreté… Le modeste appartement qui héberge La Luciole est un lieu d’éveil pour le jeune enfant mais aussi un espace pour accompagner les familles et aider dans la relation parent/enfant. Le principe en est gratuit (un versement anonyme de quatre euros par trimestre n’est pas obligatoire). C’est une association « Bien vivre aux Gauchetières » qui gère le lieu mis à disposition par la mairie. Un comité de pilotage réunit l’ensemble des partenaires (la Mairie de Nogent le Rotrou, le conseil général d’Eure et Loir, la Caisse d’Allocations Familiales d’Eure et loir et l’ADMR, aide à domicile en milieu rural).
Trois professionnelles dont deux permanentes y sont employées. Un poste d’animatrice est financé par la mairie, un poste d’éducatrice de jeunes enfants par le Conseil général, une technicienne d’intervention sociale dépend de la Caf. Il existe trois lieux d’accueil de ce type dans la circonscription.
En 1998, dans le cadre du service Pmi du Conseil général d’Eure et Loir, Annie Mautouchet reprenait un travail d’éducatrice de jeunes enfants dans ce lieu d’éveil du jeune enfant devenu aujourd’hui Lieu d’Accueil enfants / parents, labellisé par la Caf. La mission première de ces structures est d’accompagner la relation parents-enfants et de proposer des outils pour soutenir cette relation. La Luciole, ce petit coléoptère qui produit de la lumière, porte bien son nom, il rayonne ; cet endroit est une lueur dans la vie du quartier. Des mamans, quelques papas viennent régulièrement avec leur petit, une manière de rétablir un lien social rompu par les fractures d’une vie difficile.
La mise en place d’un travail de longue haleine
Annie Matouchet s’implique depuis des années pour imaginer un accompagnement attentif et proposer des actions à priori très éloignées des habitudes des visiteurs. « Durant mon congé parental, j’avais eu l’occasion de partager avec mes propres enfants un temps d’éveil musical. Par la suite, on me proposa d’accompagner, durant un an, un groupe d’assistantes maternelles autour d’un temps chansons. Ces « courtes » expériences m’avaient fait ressentir combien la relation adulte-enfant pouvait s’enrichir de ces échanges autour de la voix et du chant. Il m’est alors apparu évident et essentiel de proposer cet outil dans un lieu d’accueil d’adultes avec leurs tout-petits. Mes collègues de Pmi qui intervenaient dans ce même type de structures avaient aussi à cœur d’introduire cette démarche d’éveil musical. Nous échangions régulièrement sur nos pratiques, mettions en commun nos observations.
Je mesurais toutefois, au fil du temps, les limites de ma formation et de mes compétences. En 2003, la rencontre avec Marie Sophie Denis Richard, comédienne-chanteuse au Théâtre Buissonnier à Nogent a été déterminante dans mon parcours personnel et professionnel. »
L’équipe réfléchit aux actions possibles et intègre l’éveil musical dans ses propositions d’ateliers. Annie Mautouchet réfléchit et rencontre régulièrement Marie Sophie Denis Richard pendant un an : « Nous avons beaucoup parlé, nous heurtant toujours à ce même constat : l’absence d’une véritable politique culturelle en direction des tout-petits sur notre territoire. Nous prenions vraiment conscience que le changement viendrait des professionnels de terrain ».
La réflexion s’articulait autour de plusieurs interrogations : comment mettre en place à l’intérieur des structures Petite Enfance du territoire des temps d’éveil musical avec un intervenant spécialisé ? Comment accompagner la formation des professionnels ? Quelle place trouver pour les spectacles en direction de la petite enfance ? Et avec quel soutien ?
Marie-Sophie Denis Richard choisissait à cette époque de se former auprès d’Enfance et Musique et confrontait son savoir-faire de comédienne-chanteuse à celui d’intervenants spécialisés dans la petite enfance. En 2004 démarraient les premiers ateliers d’éveil musical à La Luciole et à la Farandole, association d’assistantes maternelles (action financée par des fonds européens).
Parallèlement, dans le cadre du Théâtre Buissonnier, Marie-Sophie proposait un atelier « Chansons et Comptines » ouvert aux parents, grands-parents, aux professionnels de la petite enfance… tous ceux qui avaient envie d’élargir leur répertoire, de prendre un temps pour le plaisir de chanter avec d’autres.
Ce qui pouvait paraître problématique devient positif : « c’est une richesse de travailler dans une petite ville (12 000 habitants). Un réseau est bien plus vite installé ». Les structures se concertent, la Luciole collabore avec La Farandole, les interventions musicales s’installent dans la régularité. Un système d’entraide s’est également mis en place, permettant de remplacer une assistante maternelle malade. La demande s’est élargie bien au-delà du quartier : 50% des parents viennent en voisin, l’autre moitié vient de plus loin.
Aujourd’hui, Marie-Sophie intervient toujours à la Luciole à raison d’une dizaine de séances dans l’année. Par ailleurs, dans les trois lieux d’accueil du territoire, les équipes ont instauré à la fin de chaque séance un temps « chansons », un rituel devenu incontournable.
Les actifs, les discrets, les observateurs…
Marie Sophie Denis Richard n’a pas imposé des objectifs de progression pédagogique : à chacun son rythme ! Il faut d’abord installer une relation de confiance et laisser à chacun le choix du moment où il devient actif.
Annie Matouchet a observé les séances : « Dans ces moments de grande proximité entre l’adulte et l’enfant, on observe des enfants blottis dans les bras du parent, dans cette douce complicité qui ressource petits et grands… il y a aussi ceux qui bougent, qui vont, qui viennent mais qui n’en sont pas moins réceptifs à l’ambiance sonore. On y voit des parents heureux de s’approprier une nouvelle ritournelle, d’autres plus silencieux et qui préfèrent accompagner par le mouvement ou les gestes les rythmes et paroles des chansons. Il y a aussi les « très discrets » qui observent. Tous, dans leur attitude et la qualité de leur présence, témoignent de leur plaisir d’être là, de vivre cet instant où il est possible parfois « d’oublier les tensions du quotidien » et où il est autorisé, en s’imprégnant d’une ambiance joyeuse, de se faire plaisir. »
Cette démarche d’éveil musical s’inscrit bien dans la mission des lieux d’accueil puisqu’elle permet une autre rencontre entre l’enfant et le parent et valorise le rôle des parents dans l’éveil culturel de leur enfant. C’est aussi une possibilité de dialogue avec les professionnelles du lieu et la musicienne. Des mamans restent un moment après la séance, et l’air de rien, des liens s’installent.
Cette année, face à une demande insistante des familles, les chansons des ateliers sont enregistrées ; un CD-mémoire de l’année va prolonger l’activité. Annie Matouchet se réjouit : « Les familles souhaitent pouvoir reprendre les chansons en dehors du lieu d’accueil, signe que ces moments enchantés laissent de belles traces… ».
La volonté commune est de créer un parcours musical avec l’ambition que tous les enfants puissent bénéficier d’un atelier d’éveil avant l’âge de quinze ans… La démocratisation de la culture conjuguée au quotidien !
Un itinéraire artistique personnel
Annie Matouchet ne s’en est pas tenue aux ateliers. Elle a petit à petit eu envie de mieux connaître sa voix. Au début, la chanson était pour elle un objet figé, maintenant elle la considère comme un objet vivant avec lequel on peut jouer. Elle considère ne pas être encore allée jusqu’au bout de sa recherche et s’est inscrite aux cours de chant de l’école de musique de Nogent le Rotrou.
« Depuis près de dix ans, je mesure le chemin parcouru… Des portes se sont ouvertes, la réflexion a mûri au regard des actions réalisées. Plus personnellement…. Un grand lâcher-prise pour dépasser des hésitations, des résistances et oser… Dans ma formation d’éducatrice de jeunes enfants, je devais avoir appris dix chansons ! Je savais qu’il y avait un répertoire, je sentais qu’il y avait quelque chose à faire. Mais sans outils, il n’est pas facile de chanter avec des familles. Alors comment s’y prendre ? Suivre une formation spécialisée avec Enfance et Musique par exemple, ce n’était pas pour moi. Mais oser rendre une chanson vivante, l’interpréter, la mettre en scène avec la voix, un geste, une mimique, un instrument, oser la rendre publique… J’ai pensé que j’étais prête à tenter l’aventure. Deux fois dans l’année, à l’occasion de la fête de la musique et à Noël, nous présentons un spectacle. Le premier est l’aboutissement du travail des ateliers « Chansons et Comptines » du Théâtre Buissonnier. Le deuxième est le fruit du travail de six professionnelles et parents (avec le soutien de Marie-Sophie Denis Richard) qui inventent, mettent en scène et qui proposent durant quatre jours dans une salle des fêtes leur création aux écoles maternelles, au Relais d’Assistantes Maternelles, aux crèches, aux lieux d’accueil Parents-Enfants, aux associations d’assistantes maternelles. » Six femmes se sont donc lancé un défi : répéter pour se produire en public. Des mamans, des assistantes maternelles et des professionnelles de la petite enfance ont créé un petit collectif qui prépare un spectacle populaire. Une centaine de spectateurs assistent en moyenne à chaque représentation, elles en donnent dix à la période de Noël !
Annie Matouchet élargit le propos à une véritable réflexion de politique culturelle : « Ce questionnement sur le « pourquoi » et le « comment » des spectacles, la création elle-même, les répétitions demandent un investissement important en temps. Mais ces temps de travail ont créé des liens forts et ont dynamisé chacun dans sa fonction, qu’elle soit parentale ou professionnelle. La conviction qui nous a lancées dans cette aventure sur Nogent est plus forte que jamais : les tout-petits ont le droit à une ouverture culturelle de qualité, accessible à tous. C’est une exigence de formation pour les professionnels, c’est aussi une attitude de vigilance pour que cette ouverture s’inscrive réellement dans les projets pédagogiques des structures et plus largement dans les choix culturels des villes, des communautés de communes… »
L’atelier des Gauchetières a largement dépassé les murs de la cité. Fidèles aux ateliers de terrain, intervenante et participants se sont donné les moyens d’en faire une expression artistique exigeante. Et c’est la chanson qui sort victorieuse de ce travail patient. ν H.K.
CONTACTS
La luciole
Lieu d’accueil enfants/parents
11 Rue Paul Langevin
28400 Nogent-le-Rotrou
Rubriques
Enfance et Musique
17 rue Etienne Marcel
93500 Pantin
Tél. : +33 (0)1 48 10 30 00
Siret : 324 322 577 000 36
Organisme de Formation déclaré
sous le n° : 11 93 00 484 93
Partenaires publics