Véronique His est profondément influencée par le monde qui l’entoure. Attentive à ce qui la fait changer d’état, elle procède par imprégnation des choses extérieures qui s’inscrivent dans le corps. C’est une transcription du monde par la sensorialité.
« À marée basse le sol change, c’est un autre espace qui s’ouvre aussi, et se referme inlassablement. C’est très en mouvement, particulièrement ici ».
Ici c’est Varangeville, Pourville, Dieppe, Hautot-sur-Mer… Des artistes y ont vécu et travaillé. Camille Pissaro, Claude Monet, le compositeur Albert Roussel. George Braque y resta quarante ans, conviant Calder, Miro ou René Char à partager sa passion pour le bocage jouxtant la Manche. Le paysage réserve toujours une surprise, on ne sait jamais vraiment ce que l’on va trouver sur la grève. « La sensation dans un paysage débride mon imaginaire. Et j’utilise la mémoire de cette sensation dans la construction de mes spectacles. De ces expériences sensibles, de ce vécu en direct, je ne sais jamais vraiment ce qui va resurgir ». Dans son ouvrage La poétique de la danse contemporaine, Laurence Louppe analyse l’écriture des chorégraphes qui cherchent à mettre des mots et des mouvements sur les sensations.
Véronique His se trempe également dans un bain musical. Pour Les Bois, elle a passé en boucle Sibelius et les percussions de Strasbourg. C’est la période où elle veut être seule, écouter, marcher, sentir. Elle vit de longs moments de réflexion, d’observation de son environnement, d’émotions personnelles profondes.
« L’observation et la nature sont pour moi une source d’inspiration, d’imprégnation…
L’orée du bois, les feuillages, la curiosité,
La forêt, les peurs, les arbres, le vert,
L’automne, la chute des feuilles, le bruit des pas …
Je marche et j’écoute…
Le chant d’un oiseau, le vent, le grincement des arbres.
Tout mon corps est aux aguets,
La vie est là qui se dévoile furtivement ou brusquement,
La clairière est un apaisement…
Un premier temps est nécessaire pour sentir et ressentir : prendre des temps longs et répéter dans la nature. Se laisser surprendre… »
Ecriture chorégraphique et sujet masculin
Toujours en quête de nouvelles rencontres, pour Les Bois elle a fait le choix de travailler avec un danseur. Aussi parce que le monde professionnel de la petite enfance est essentiellement féminin. Dans ses premiers moments de travail avec Jaime Flor, Véronique His a fait des propositions d’improvisation, en silence, pour être au plus près du geste pur.
Jaime Flor formé à la danse classique à Bogota en Colombie a poursuivi sa formation en danse contemporaine au CNDC (Centre National de Danse Contemporaine) d’Angers.
Véronique His a été sensible au parcours du danseur et lui a donc proposé un nouveau voyage. « Mon désir aujourd’hui est de partir à la recherche de nouvelles dynamiques, de provoquer la rencontre d’un danseur avec le monde de la petite enfance, d’ouvrir l’imaginaire. Ce projet de création est l’occasion de le faire. L’écriture chorégraphique sera traversée par le sujet masculin. J’y décrypterai une singularité et composerai pour un interprète prêt à tenter l’aventure de danser pour un public de tout-petits. »
Après le temps du geste est venu celui de la promenade, dans les bois. La chorégraphe et le danseur partis en reconnaissance…Ils sont allés, à deux pas, proches d’une mer que l’on devine et que l’on oublie dans les sentiers. « On se donnait des points de rendez-vous pour se raconter ce que l’on avait vu. Des promenades au hasard, quand le corps dicte là où il a envie d’aller. Jaime grimpait dans les arbres, restait perché, s’imprégnait de la notion de hauteur. »
Les artistes se sont ensuite installés en studio pour explorer leurs matières de danse avec de grands bâtons : les bois en équilibre et l’évocation de Calder, les bois en morceaux pour un travail sur la chute, la randonnée réminiscence des longues promenades préparatoires. Ont alors émergé de nombreuses pistes de recherche impliquant la notion de sol, la marche dans les feuilles, les appuis. Pour les deux danseurs chaque séance de travail était nourrie des parcours préparatoires et revenaient sans cesse les images des ruines d’un château, des douves, des dénivellations…
« Dans un second temps, se mettre à l’écart et travailler au studio de danse : garder l’empreinte des sensations et travailler les transpositions, laisser venir ce qui arrive, prolonger le mouvement, mémoriser les formes qui apparaissent… J’ai invité le danseur à partager les expériences, à se mettre en mouvement et nous avons commencé une conversation chorégraphique. »
Suivra la construction. Un accompagnement attentif du public
Le projet de Recherche-Création 2010-2012 dans lequel s’inscrit ce travail de création chorégraphique est au cœur d’une action culturelle intitulée, « De la crèche au théâtre, rencontre avec un public singulier ». Il ne s’agit donc pas seulement d’écrire et de mettre en espace un Solo pour un danseur qui peut se déployer dans la diversité des lieux d’accueil de la petite enfance.
Le double objectif de cette création est de favoriser la rencontre du très jeune enfant avec la danse à l’intérieur même des lieux d’accueil petite enfance et de proposer ensuite à ce public rassemblé – parents / enfants / professionnels – de venir au théâtre et de vivre pleinement l’aventure d’être spectateur. Il convient pour ce faire d’associer les enfants et les adultes qui vivent au quotidien aux côtés des enfants pour réfléchir aux préalables et aux cadres nécessaires à ces rencontres mais aussi d’associer les parents pour que la transmission culturelle soit vivante.
Ces deux formes se distinguent par deux mouvements différents, d’une part celui de l’artiste qui vient à la rencontre des enfants et des adultes d’un lieu d’accueil en dansant et d’autre part celui du public rassemblé qui viendra à la rencontre de l’artiste et du spectacle au théâtre.
Les deux propositions prennent tout leur sens si l’on mesure ce qu’une telle aventure représente pour un tout-petit et pour des familles peu habituées à fréquenter les lieux culturels et à aller au spectacle.
Ici, la simplicité de la proposition en crèche n’enlèvera en rien la complexité de la rencontre des enfants avec l’artiste. C’est tout d’abord un étranger qu’il faut apprivoiser. En allant vers lui dans son lieu de vie, les artistes commencent à tisser des liens de confiance. La réticence à aller immédiatement au théâtre sera levée car englobée dans une démarche générale de familiarité progressive avec la production artistique. Le milieu culturel se déplace pour ensuite mieux accueillir son public.
Le vécu commun à la crèche préparera cette aventure d’aller au théâtre. Même si le spectacle comporte des différences, les adultes seront sans doute plus en confiance avec la nouvelle proposition artistique, et redouteront moins cette venue au théâtre et ses codes : le trajet, le lieu, le noir, les artistes sur le plateau, le décor, les lumières, la musique, le mouvement… Auront-ils moins peur des réactions des enfants et leur laisseront-ils plus de liberté ? Et si l’enfant n’est pas prêt ce jour-là, l’adulte est-il prêt à accepter cet imprévu sans le vivre comme un échec ? Des questions auxquelles tous les participants au projet tenteront de répondre…
Les résidences de création du Solo
Avec deux résidences en crèches, la Recherche / Création se construit par un maillage de différentes actions en plusieurs étapes réparties entre 2010 et 2012. Il est sans cesse question d’amener la danse là où il n’y en a pas.
Les résidences en crèches associent les équipes professionnelles à la réflexion. Chorégraphe et danseur viennent à la rencontre des enfants. Ils proposent, observent et s’imprègnent.
Avec un groupe d’enfants (les grands) les deux artistes peuvent observer leurs énergies, leur goût pour l’espace et le mouvement. Ils en font un collectage : le saut, l’arrêt, la chute, le rebond, la course, l’agilité du corps dans l’espace…
Déjà nourris de leur travail initial dans la nature et en studio, ils peuvent vérifier leurs hypothèses et poser les premières pierres de la chorégraphie. Véronique His et Jaime Flor prennent en compte les observations des professionnels devant la réaction des enfants face à leurs propositions. « J’aime quand il y a de la fragilité et que l’artiste peut en jouer. C’est un espace très particulier, irremplaçable, où le spectacle est en construction. Il n’est ni dans le temps réel ni dans ses rêves, il est dans un temps précieux où se croisent la créativité des enfants, l’implication progressive des professionnels et son acte de création ». Véronique His est perméable à tout ce qui peut se passer pour réinvestir et faire des choix.
Deux résidences – à la crèche Paul Vaillant Couturier d’Arcueil, aux Courtilières à Pantin – constituent le cadre d’un travail patient qui envisage à la fois le contenu artistique de la future production et le rapport des professionnels de la petite enfance au monde culturel.
Les artistes organisent les séquences de la chorégraphie. Ils travaillent la façon de les introduire, de les développer, et de les clore. Ces séquences leur permettent d’expérimenter différentes hypothèses dans le développement de la chorégraphie.
Il s’agit de comprendre ce qui est à l’œuvre pour les enfants dans ce solo, ce qui les touche, ce qui trouve un écho, qui fait sens pour eux. « Nous devons mettre en évidence les liens avec ce que font les enfants à cet âge : marcher, se déplacer dans l’espace, se balancer, s’allonger pour récupérer, courir, sauter et libérer son énergie, se cacher, se percher (rechercher des émotions), rouler, tourner, se laisser tomber, se donner le vertige… »
Ces deux résidences sont associées à une réflexion avec les professionnels des lieux d’accueil pour affiner un regard et élaborer les conditions qui leur permettent d’être les médiateurs de la rencontre. Une foule de questions se posent qui trouveront progressivement des réponses au fil des ateliers et des échanges. Comment accueillir un artiste, danseur, homme à la crèche, dans un milieu professionnel presque exclusivement féminin ? Quelle dynamique provoque l’arrivée d’un danseur, dans un lieu d’accueil de la petite enfance ? Qu’est ce qui peut provoquer du dérangement dans la proposition de ce solo ? (On peut alors s’interroger sur les notions d’étrangeté et d’intimité). Comment se préparer à aller au théâtre ensemble ? Que doit-on savoir ?
Enfin la sensibilisation des familles fait partie intégrante du projet. Il est alors question, avec l’équipe, de privilégier une rencontre artistique où enfants et parents seront invités à vivre chacun un moment d’imaginaire et d’émotions partagés.
Un tel cheminement peut paraître long et par trop minutieux, éprouvant pour les danseurs, perturbant pour les enfants et les professionnels. Chaque étape en est soigneusement préparée et fait l’objet d’une analyse. Les enjeux sont d’importance et il n’est pas question de brûler les étapes et les enthousiasmes. C’est ainsi que se bâtit la découverte fine d’une pratique artistique et d’une diffusion accompagnée.
Un Solo puis un Duo
À partir du Solo interprété par le danseur Jaime Flor se construit la deuxième année (Septembre 2011 / Mai 2012) la chorégraphie d’un duo avec la danseuse Mathilde Vrignaud interprète de Au bord de l’eau. Véronique His a souhaité écrire et mettre en scène un Duo pour une danseuse et un danseur sur un plateau de théâtre. Cette proposition de création en deux temps est intéressante à plus d’un titre. Il ne s’agit pas dans ce processus de création de spectacles coupés les uns des autres. Chaque étape du travail est un jalon qui nourrit le suivant. La photographe Agnès Desfosses et la scénographe Patricia Lacoulonche travailleront aux côtés de Véronique His.
« Dans l’univers des Bois, Un homme, une femme, deux êtres en présence.
Tour à tour ou ensemble, ils joueront du miroir, du décalage, de l’assemblage, du contraste ….
J’interrogerai les forces contraires : le semblable – le différent, la dissonance – l’accordage, le proche / le lointain, l’intime / le collectif, l’ombre / la lumière, la chute / l’envol.
Je partirai à la recherche d’espaces intermédiaires, de nuances.
Chaque solo chorégraphié sera une base de rencontre, la voltige (l’envol) et l’escalade (jeu avec la gravité) seront des éléments techniques utilisés dans la matière chorégraphique. »
Depuis les premières promenades solitaires de la chorégraphe dans les bois de sa Normandie, de nombreuses étapes de recherche se sont succédées. Il y est toujours question de la prise en compte du public. Bien décidée à aller à la rencontre des spectateurs dans leurs lieux de vie, Véronique His développe parallèlement le concept initial et ne perd jamais de vue la réalisation des spectacles. En l’occurrence deux créations se construisent au fil du temps, avec chacune la même préoccupation : partager le sens du geste artistique. ν H.K.
LES PARTENAIRES
Enfance et Musique pour l’accompagnement et le suivi de la Recherche Création du Solo et du Duo dans toutes leurs étapes ; l’élaboration d’images et de textes.
La Ville d’Arcueil service culturel et service petite enfance. Résidence en crèche, sensibilisation des professionnels suivie d’une résidence en théâtre (Octobre 2010-Mai 2012).
DSN (Dieppe Scène Nationale) pour l’accueil studio et dans la demande d’un soutien technique pour la forme théâtre (2010-2012).
La Ville de Dieppe pour une action culturelle « de la Crèche au Théâtre » (2011-2012) avec les quartiers du Val Druel et de Neuville les Dieppe, Drakkar (bibliothèque et théâtre).
La Ville de Pantin service petite enfance pour une résidence en crèche. Service culturel pour la forme théâtre.
La Ville de Gennevilliers pour une résidence en théâtre 2011-2012 Pour le Solo et le Duo (Janvier à juin 2012).
Le théâtre Charles Dullin- Grand-Quevilly : Résidence en théâtre pour la création lumière.
Les Créations pour la petite enfance
Depuis 1997, Véronique His chorégraphie et interprète des spectacles de danse pour le jeune public
1997 : Terre de lune, DANSE THEATRE (200 représentations)
2001 : Comment ça va sur la terre, DANSE (150 représentations, encore en tournée)
2004 : Deux doigts de comédie (encore en tournée)
2007 : Au bord de l’eau, est ce que tu dors ? (encore en tournée)
2011 : Les Bois, SOLO (en tournée)
2012 : Les Bois, DUO (en tournée)
Rubriques
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