Éclats

Éclats porte bien son nom : le petit s qui en souligne le titre est le symbole de la multiplicité des situations de création et des actions. « L’association Éclats est un espace ouvert de recherche et de création artistiques où la musique contemporaine se travaille, se réfléchit, s’écoute, se transmet et re-trouve son sens. »

L’histoire est déjà longue, l’expérience est forte. Depuis sa création en 1987, l’association a su préserver l’invention et la création, « envers et contre tout » précise Stéphane Guignard, son directeur artistique. Éclats est un lieu de pratique et de spectacles (situé non loin du jardin public au cœur de Bordeaux), une structure où le vent de la créativité n’a jamais cessé de souffler, « on évite la routine, on peut sans cesse expérimenter beaucoup de choses ».

Bientôt vingt cinq ans d’activités musicales, de spectacles mais aussi vingt cinq ans de recherche, d’exploration, d’aventures, de rencontres… L’association Éclats est aujourd’hui un collectif d’artistes, réunis par une passion pour le geste musical, la voix et les écritures contemporaines. Stéphane Guignard, Sophie Grelié et Nadine Gabard en sont les artistes associés, restés fidèles à leur parcours initial commun : une formation universitaire aux langages musicaux contemporains suivie sous la direction de Marie-Françoise Lacaze et de Guy Maneveau à l’Université de Pau.

Une marque de fabrique 

Des générations d’élèves et de futurs professeurs, animateurs, chefs d’orchestre et chefs de chœur ont été formées par Guy Maneveau, cofondateur avec Marie-Françoise Lacaze du département de musique à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour institué en 1971. Elève d’Olivier Messiaen, d’André Jolivet et d’Eugène Bigot, Guy Maneveau est arrivé à la fin des années 1960 en Béarn tout d’abord comme enseignant à l’Ecole normale d’instituteurs. Ses convictions au service de la pédagogie, de la musique contemporaine et du concept des Maisons de la Culture défendu au sein d’une association créée à son initiative en font l’un des pionniers de la pédagogique contemporaine. Chef de chœur ce qui constituait selon lui « le meilleur outil pour la pratique amateur de la musique de toutes les époques » mais aussi expert en analyse, harmonie, composition, chant et expression électro-acoustique, Guy Maneveau et son enseignement ont profondément marqué les trois artistes d’Éclats qui n’ont cessé de perpétuer l’esprit de son travail novateur.

Mais rien de professoral, de savant, de docte ou d’affirmé dans la démarche de Stéphane Guignard. Compositeur et instrumentiste, il a gardé une sorte de relation physique à la musique, particulièrement tangible dans le cas de la flûte, « cet instrument primordial entre tous, indissolublement lié à la danse qui semble constamment inspirer sa gestuelle si spécifique. Le rapport viscéral au mouvement, au souffle, à la matière, qu’implique sa pratique » traverse et anime la recherche de Stéphane Guignard ; c’est lui qui contribue à rendre ses réalisations si immédiatement éloquentes et troublantes, depuis ce Pan liminaire créé en 1992 qui est déjà presque un manifeste.
Depuis, Stéphane Guignard est devenu concepteur, une sorte de chef d’orchestre invisible et permanent, insufflant un esprit, une signature élégante et investie aux diverses créations d’Éclats. Il a réalisé au total dix spectacles dont certains comme Les Johns, créé en 2008, poursuivent toujours leurs déclinaisons au gré des rencontres et des lieux. « J’essaie de relier tout, c’est ce qui donne sa force au projet et sans doute aussi contribue à son originalité. Quand nous construisons un spectacle, c’est toujours avec la volonté de penser l’art aujourd’hui : Quel est l’objet créé et comment tisser les liens nécessaires à la vie durable d’une création ? » Les spectacles tout public ont élargi le propos initial. Éclats a tout d’abord construit son activité dans le domaine de l’enfance (et le poursuit toujours) pour ensuite diversifier ses recherches et ses propositions, approfondir son écriture artistique dans le champ de la création contemporaine. Éclats est ainsi devenu une compagnie dont la volonté est de transmettre une pensée musicale – en France et à l’étranger – par des programmes de spectacles, des concerts et des projets de coopération culturelle. 

Le cœur d’Éclats est un lieu vivant et bruissant qui réalise la nécessaire fusion entre création et formation. Dans une bâtisse de 300 m² réunissant des espaces de pratique, de répétitions, de performances et des studios, Éclats a constitué un véritable centre d’expérimentation musicale et d’échanges artistiques. Le siège de l’association est un endroit à vocation multiple pour un accueil de l’art. Et comme il y a eu John à la plage, naturellement s’est mis en œuvre un John à Éclats.

Un lieu, investi et vivant

Les locaux ont un sens intime, reflet de l’esprit des artistes qui y résident. Stéphane Guignard a donc tout naturellement imaginé des ateliers pour les enfants, pour les professionnels ; la structure est aussi un lieu de diffusion, de résidences et d’accueil d’artistes qui partagent la conviction nécessaire d’une fusion entre création et formation. Éclats souhaite donner du temps aux nouvelles écritures, aux nouvelles formes. Dans cet endroit atypique, les musiciens du collectif développent leurs projets, reçoivent d’autres artistes en résidence, animent stages et ateliers, organisent concerts et autres Impromptus…

Chacun en ressort enrichi de l’expérience de l’autre, le partage des questionnements est un mot d’ordre perpétuel. « Ainsi compositeurs, interprètes, artistes indisciplinés, théoriciens, mélomanes, oreilles curieuses peuvent trouver place et participer à cette poétique du sonore ». Éclats invite donc des musiciens, des chorégraphes, des vidéastes, des metteurs en scène pour développer des projets. De ces rencontres naissent de nouvelles propositions, des confrontations positives, un enrichissement mutuel.

« Des artistes venus de tous horizons sont accueillis en résidence à Éclats. Ils peuvent venir y mettre au point une œuvre, un spectacle, un récital, un Impromptu peut-être, ou simplement y poursuivre leur recherche personnelle dans un cadre propice et équipé d’un studio de création sonore. » S’ils le souhaitent, les artistes peuvent proposer « une sortie de résidence », prestation publique organisée dans les locaux d’Éclats, tel le projet Machine d’Olivier Galinou, comédien-musicien et de Virginie Barreteau, auteure, Compagnie « La nageuse au piano » proposant une recherche musicale autour d’un piano préparé et d’un piano « désossé ». Ce travail avec Virginie Barreteau aboutit à un spectacle associant textes contemporains originaux et sonorités inhabituelles issues de squelettes de pianos. Dès l’origine, les musiciens d’Éclats ont été soucieux de transmission : expérimentation et création musicales ont nourri des initiatives pédagogiques s’adressant à tous, du plus petit au plus grand. S’appuyant sur le développement de la créativité musicale et les écritures contemporaines, toutes les actions empruntent les chemins du geste musical et d’une nouvelle conscience auditive. L’association n’a cessé d’élargir au fil des années son travail d’éveil musical et d’approche de l’environnement sonore des lieux de vie du tout-petit. La démarche s’est construite dans plusieurs directions complémentaires : l’intervention auprès des tout-petits, la formation des professionnels de la petite enfance, et très vite la création de spectacles en direction du très jeune public. Un peu plus tard les spectacles tout publics sont venus compléter le programme d’activités.

Observer, partager, apprendre

Chaque domaine a nourri l’autre et c’est au contact constant des très jeunes enfants que le secteur de la création a puisé sa richesse. Contrairement aux compagnies qui ajoutent un volet jeune public à leurs activités, les musiciens d’Éclats ont patiemment observé le très jeune enfant, tissé des liens avec le réseau professionnel des lieux d’accueil, animé des ateliers et des formations pour en nourrir les prestations scéniques.

Au début de l’année 1997, le service petite enfance de la mairie de Bordeaux a sollicité Éclats pour des interventions d’éveil musical dans toutes les structures d’accueil des tout-petits de la ville. Le premier objectif était de permettre à un grand nombre d’enfants, issus de milieux socioculturels très différents, d’accéder à un éveil musical de qualité. Les musiciens d’Éclats affirment alors leur choix qui est de permettre aux enfants d’être dans une écoute la plus large possible du domaine musical, allant de l’environnement sonore à l’ensemble des répertoires. L’action sonore est créative, ludique, ouverte au monde musical contemporain. La chanson est certes le premier élément rassembleur mais la voix est visitée dans toutes ses dimensions (chuchotée, sifflée, criée, fredonnée, murmurée …). L’exploration sonore s’aventure dans l’écoute du jeu instrumental des musiciens mais aussi dans l’expérimentation par l’enfant des matières, des objets et des instruments. L’écoute, toujours liée à l’activité, place l’enfant dans une attitude impliquée, sensible, ouverte à toutes les cultures et styles musicaux. 

Musiques d’éclats pour les tout-petits marque en 2002 / 2004 une étape importante dans le concept d’intervention. Cette nouvelle forme met toujours en jeu la musique des sons et l’écoute dans les lieux de vie des tout-petits mais renouvelle les pratiques dans un geste encore plus contemporain. Pendant deux ans, un « plancher musical » est installé dans sept structures (à raison de quinze jours). Il est animé par les musiciens mais aussi utilisé d’une manière autonome par les personnels. Le plancher est proposé comme une aire de jeux d’écoute, un espace de découverte motrice, plastique et esthétique. Utilisé comme un véritable instrument de musique, le personnel peut l’utiliser pour faire de la musique avec les enfants, inventer des parcours, des façons de jouer. Les parents le découvrent lors des moments d’accueil parents / enfants. 

Le compositeur Philippe Mion écrit 7 musiques pour 7 lieux « reflets sonores des silences, agitations, activités, imaginaires… », caractéristiques des crèches concernées par le projet. Chaque courte pièce correspond à l’identité d’une crèche et plus particulièrement à un espace choisi avec le personnel pour sa qualité sonore, visuelle, affective, ludique… Une démarche d’aller-retour entre le moment d’écriture des sons et l’écoute des enfants est instituée. Les artistes observent leurs réactions afin de toujours rester au plus près d’une réalité perceptive et d’être en connivence avec le lieu choisi. Les musiques se font l’écho de l’échange entre le compositeur, les musiciens intervenants, les enfants et les adultes lors des ateliers sonores. Philippe Mion rencontre les personnels pour leur exposer sa démarche de compositeur ; les ateliers centrés sur l’écoute et les musiques contemporaines alimentent la recherche. Parallèlement un atelier pilote d’une durée de vingt semaines est proposé sur l’observation d’un groupe de bébés à l’écoute de musiques électroacoustiques. Octobre 2004 marquera la clôture de ce projet directement articulé avec le monde contemporain. 

Ce long travail de partenariat entre l’association Éclats et la politique d’éveil culturel du service petite enfance de la ville de Bordeaux s’est achevé par un guide de réflexion ouverte concernant les interventions, les objectifs pédagogiques, les perspectives. 

L’expertise de Stéphane Guignard est aujourd’hui sollicitée par les partenaires aquitains, preuve d’un ancrage profond dans le tissu local mais également d’un regard éclairé sur les politiques à mettre en œuvre auprès du monde de l’enfance et de la création. 

L’association s’est également engagée dans l’accompagnement de projets musicaux auprès de diverses structures d’accueil des enfants. L’expérience construite au fil des années, a enrichi les collaborations avec des centres culturels, des écoles de musique, des centres de formation professionnelle, des établissements scolaires, des crèches, des hôpitaux pour enfants… « Les enfants savent sans tarder s’emparer de la source qui réveille l’oreille. Brasser des grains de blé, en faire des maracas ou des gouttes de pluie… Avoir dans les oreilles le chant des bulles d’eau… Faire vibrer ou sauter en ayant dans la tête des sons qui claquent ou se propagent… En somme s’amuser du monde environnant et le faire résonner… »

Du conseil à la formation

La présence régulière d’Éclats dans les structures petite enfance de Bordeaux a favorisé sur le long terme un dialogue et a permis que soit engagée une formation des personnels. Prodiguant des conseils sur l’achat ou la construction d’instruments de musique, enrichissant le répertoire de chansons, approfondissant la réflexion sur l’environnement sonore du tout- petit, emmenant avec finesse les participants sur les chemins de l’expression contemporaine, Éclats a patiemment bâti une politique audacieuse en faveur de la petite enfance et de la création. Les très nombreux échanges, les « rassemblements chanson », les enregistrements réalisés avec les personnels, les temps de synthèse et de concertation ont installé une continuité dans l’action. La dimension de la formation a permis une valorisation des compétences des personnels doublée d’une personnalisation des actions.

Au fil des années les projets se sont peaufinés, les mises en jeu ont été constantes comme avec le Concert en petits morceaux, spectacle musical déambulatoire pour les tout-petits réalisé dans les années 2000 ou encore les mini concerts interprétés par les personnels. En 2001 pour la fête de la musique, vingt deux lieux d’accueil chantent au même moment « les petits poissons » dans un décor aquatique fabriqué par des enfants et des adultes. Un album photo rassemble les vingt deux clichés, l’idée de la performance a déjà fait son chemin…

Les interventions se sont constamment enrichies avec des temps entièrement consacrés aux enfants et des temps réservés aux adultes (les ateliers d’adultes permettant par exemple aux équipes de se « décomplexer » face à leurs production vocales).

La réflexion en direction des adultes qui entourent les enfants a permis de construire pour les professionnels de la petite enfance des formations à l’éveil sonore et musical du jeune enfant et ainsi d’accompagner une prise de relai permanente. Les musiciens d’Éclats prennent appui sur leur réflexion et leurs actions dans le champ des musiques d’aujourd’hui pour impliquer les acteurs et sensibiliser le public à la conscience d’un monde artistique en permanente évolution. Pour les professeurs de musique par exemple, c’est une ouverture à la démarche du collectif d’artistes grâce aux formations à la pédagogie musicale contemporaine, à la créativité musicale, à la sensation des gestes, au répertoire contemporain.

Avec une conviction inébranlable malgré les questionnements et les aléas de la reconnaissance, Stéphane Guignard poursuit un travail artistique exigeant. « Un peu comme dans la rue quand quelqu’un demande son chemin, j’ai toujours envie de donner des réponses et d’accompagner de jeunes artistes. » C’est un perpétuel investissement : « Dans le spectacle, au détour d’une situation dramatique on réinvestit ensuite des éléments dans les situations pédagogiques ». 

Les artistes associés d’Éclats vivent en permanence des situations qui nourrissent leurs différents champs d’action, en quelque sorte une mission constante de transmission. ν   H.K.