Artistes contemporains et petite enfance

C’est dans l’ADN du Centre Tignous d’art contemporain de Montreuil que de s’adresser à tous les publics, avec la plus large ouverture possible. Il n’est donc pas surprenant que dès 2013, année de son ouverture, il se soit intéressé à la question de l’éveil culturel des tout-petits en arts plastiques. 

Déjà engagé, grâce au mois de la Petite Enfance à Montreuil, dans une offre dédiée aux tout-petits, avec des dispositifs sensoriels et d’ouverture à la culture, le Centre Tignous d’art contemporain a voulu aller plus loin dans sa réflexion sur l’accès à la création pour les très jeunes enfants. Ainsi sont nées, au sein même des crèches municipales de la ville, des résidences d’artistes longue durée : « L’idée est de laisser une œuvre un peu pérenne qui reste dans la structure » explique Aurélie Thuez, responsable du centre d’art. 

DES PROJETS UNIQUES

Selon elle, le temps des résidences en crèches encourage l’expérimentation et la pratique. À l’issue de cette période, ponctuée par « un temps que l’on appelle une sortie de chantier, où les familles viennent découvrir le travail conduit pendant six mois », une restitution est proposée au centre d’art, l’occasion pour beaucoup de familles de franchir le seuil d’un lieu culturel et de dépasser les a priori à l’égard de l’art contemporain. La résidence se compose de plusieurs séquences : pendant un trimestre, l’artiste opère un travail d’observation, avec la découverte des différentes sections de la crèche, de l’équipe (éducatrices de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, cuisiniers, lingères…) et des parents, sur des temps dédiés, « un peu comme un ethnologue ».

Puis vient la phase de création proprement dite, qui dure six mois : « Les choses peuvent vraiment infuser ». Les artistes construisent leur création en fonction de la dynamique de l’équipe, des familles : « Ce temps d’incubation mène à des projets uniques et singuliers, du cas par cas qui ne se duplique pas. Le clef en main ne fonctionnerait pas » affirme Aurélie Thuez. Chaque année, le centre d’art lance un appel à candidature pour sélectionner un artiste plasticien, le plus souvent de jeunes artistes émergents, dans tous les champs de l’art visuel : céramique, photo, tissage, design… Un jury, dont font partie les professionnels de la petite enfance, opère un choix collégial : « On sait que ces projets sont des rencontres humaines ; pour travailler neuf mois avec un artiste, il est important que les collègues de la petite enfance adhèrent à la proposition artistique » explique Aurélie Thuez. La capacité à s’installer dans une exploration avec ce public et une appétence pour le tout-petit font partie des critères retenus par le jury. Le centre d’art joue ensuite son rôle d’expertise et d’accompagnement dans l’exploration d’un médium dans toute sa diversité. 

Un plan de formation adossé à la création, ouvert à un public plus large, a été mené en parallèle pendant dix ans avec le soutien du Conseil départemental. Le plan de formation impulsé au cours de cette période a permis de former des équipes très réceptives ainsi que des encadrants et des parents, sensibles à la culture, prêts à collaborer à toutes formes d’éveil.

DEUX MONDES SE RENCONTRENT 

Toutes les crèches municipales ont déjà fait partie du dispositif, et se mobilisent pour accueillir à nouveau des artistes : la résidence vient bousculer positivement leur quotidien, deux mondes se rencontrent et élaborent des propositions originales et singulières qui peuvent même se déployer jusqu’à modifier les espaces.

L’échange est devenu réciproque : selon Aurélie Thuez, certains artistes ont poursuivi leur création dans la continuité de leur expérience avec les tout-petits car elle a modifié leur perception. Le très jeune public a dynamisé leur approche créative et renouvelé leur pratique, à l’instar de Sidonie Rocher ou de Meaghan Matthews. « Le regard du tout-petit se porte très souvent vers les œuvres les plus intéressantes » conclut Aurélie Thuez, « Il a une vraie acuité, une appétence à observer le beau et il est important de préparer l’artiste à cette rencontre singulière ». 

• Dominique Boutel